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Le blanchiment d'argent associé à la criminalité repose souvent sur des méthodes simples, informelles, rapides et peu coûteuses, qui sont à la portée de nombreux acteurs criminels à travers le monde. Ces pratiques, loin de se limiter aux grandes institutions financières, se déploient dans des réseaux globaux, des pays dépourvus de banques formelles, et servent parfois de terrain fertile à ces stratégies.
À travers des exemples tirés de son expérience, Quentin Mugg, policier spécialisé dans la lutte contre le blanchiment d’argent et liaison officer à Europol, démontre que, loin d’être hors d’atteinte, le blanchiment d’argent reste une activité vulnérable à des interventions ciblées, en dépit de sa discrétion apparente. L'auteur de L'argent sale : la traque, partage ici une analyse pragmatique, loin des idées reçues sur la complexité de ces opérations.
Pouvez-vous nous expliquer brièvement en quoi le blanchiment d’argent est lié à la criminalité organisée ?
Le blanchiment, c’est ce qui intervient dès qu’on commence à avoir un peu de succès dans des affaires criminelles. La plupart des infractions visent un but acquisitif — c’est-à-dire gagner de l’argent. Sauf évidemment dans certains cas, comme les crimes passionnels, qui ne sont pas prémédités. Mais le mobile habituel, quand il n’est pas sentimental, est généralement financier. Et même dans le terrorisme la dimension financière n’est jamais bien loin, dès lors qu’on monte un peu dans les échelons de l’organisation.
Donc, le blanchiment, ce n’est pas juste une activité annexe à mener à côté des investigations, en plus de l’infraction elle-même. S’intéresser à l’argent du crime, c’est s’intéresser au mobile, pas simplement à la conséquence.
On a parfois l’impression que les moyens pour lutter contre le blanchiment sont limités. Est-ce que vous n’avez pas le sentiment, dans votre métier, que c’est un peu comme vider l’océan à la petite cuillère ?
Alors, c’est sûr que si on entre dans la police avec l’intention de mettre fin à la criminalité tout de suite, on s’expose à une déception. Il y aura toujours de la criminalité, donc du blanchiment. Comme je viens de le dire, le mobile est l’argent. La vraie question, ce n’est pas tant de savoir si on vide l’océan à la petite cuillère, mais plutôt si on est dans le bon courant, dans la bonne direction.
Et ça, c’est une question que posent de nombreux rapports depuis des années. Europol publie régulièrement un rapport qui s’appelle le SOCTA (Serious and Organised Crime Threat Assessment), et analyse l’état de la menace criminelle organisée. Dans le dernier, ils relèvent qu’environ 2 % seulement des sommes criminelles estimées sont saisies. C’est « mieux » que le 1 % consensuel précédemment admis — on peut évoquer un doublement — mais 98 % échappent toujours à la justice.
Ce qu’on constate dans les affaires, c’est qu’il y a une multitude de raisons à ce chiffre. Je crois que ça rejoint d’ailleurs votre première question : on peut avoir cette perception que le blanchiment est trop complexe, trop sophistiqué, hors d’atteinte. Mais en réalité, cette vision est fausse, et elle décourage parfois les gens avant même qu’ils aient essayé.
Quand on travaille sur les réseaux vraiment organisés, on voit qu’il y a énormément de passerelles entre criminalité organisée et délinquance en col blanc. Et ce qu’on constate, c’est que les criminels ciblés dans nos enquêtes ne sont pas des génies de la finance. Ils ne s’entourent pas non plus d’armée d’avocats. Au contraire : ils utilisent des méthodes très simples, très rapides, très sûres et surtout très peu coûteuses pour mettre leurs fonds à l’abri. De préférence loin.
Je pense que peut-être, et encore une fois je ne prétends pas avoir une réponse définitive, on gagnerait à se mettre plus souvent dans la peau des voyous plutôt que de privilégier une approche théorique. Parce que leur but est très simple : il faut sortir l’argent, le rendre invisible et l’éloigner. Pour ça, ils font appel à des opérateurs de transferts occultes, qu’on appelle « blanchisseurs » mais qui se nomment entre eux « changeurs » et ne se voient même pas eux-mêmes comme des criminels. Tout juste concèdent-ils qu’ils évoluent en marge du système.
Généralement, ils ne fournissent aucune forme de justification mensongère. Ils ne font que transférer ou convertir des fonds. Pour eux, blanchir, c’est juste « exfiltrer » l’argent, c’est-à-dire le mettre hors d’atteinte. La plupart du temps, ce qu’on appelle des « grands blanchisseurs » sont des opérateurs informels de transferts de fonds et des entremetteurs criminels.
Quant à la justification de l’origine des fonds, elle est souvent inexistante. Ce qui n’est pas étonnant — la moitié de la planète fonctionne en cash. On a affaire à des gens qui viennent souvent de pays où les règles, les systèmes économiques, les habitudes sont totalement différents et influent sur les mécanismes de blanchiment.
Ainsi, sur le terrain, la réalité ne correspond plus du tout aux fameuses trois phases du blanchiment qu’on enseigne dans les manuels. Cette tentative d’ordonnancement du phénomène ne s’applique pas du tout de manière rigide. Je peux en témoigner pour avoir moi-même, dans le cadre de la mise en œuvre de méthodes spéciales d’enquête, supervisé des opérations de blanchiment encadrées. Nous avons alors déplacé des fonds en dehors des cadres officiels. Et je vous garantis que c’est très facile.
On parle beaucoup de sociétés offshores au Panama, de comptes à Hong Kong ou de complexes immobiliers à Dubaï… Quelles sont les principales méthodes utilisées aujourd’hui par la criminalité organisée ? Et y a-t-il des spécificités ?
Oui, bien sûr. Ce sont des systèmes informels et des opérations offshores au moyen de sociétés écrans qui ne s’excluent pas l’un l’autre. Dans une affaire que je raconte dans Argent sale, la traque (éd. Fayard en collaboration avec Hélène Constanty), on voit très bien qu’un même dossier peut mêler des compensateurs internationaux, qui ne manient que du cash venu du trafic, acoquinés avec des fraudeurs fiscaux qui ont des trusts au Panama. Ouvrir une société offshore n’est pas compliqué.
Mais à vrai dire, pour le crime organisé LA grande méthode d’exfiltration des fonds reste la compensation. Des affaires judiciaires récentes (2020-2024), lors desquelles on a pu déchiffrer des systèmes de communication cryptée, utilisés exclusivement par les criminels dans le monde entier, ont clos le débat : on a pu observer les méthodes employées par 250 000 criminels. Le constat est sans appel. Le plus souvent, les opérations se font en cash par des méthodes de compensation organisées par des courtiers criminels. L’argent liquide est collecté et compensé avec une somme équivalente remise ailleurs. L’argent collecté en Europe, par exemple, est revendu sur place à des gens qui ont besoin de cash — fraudeurs fiscaux, proxénètes, entrepreneurs douteux… Et ensuite, les trafiquants sont payés ailleurs, dans une autre monnaie. Parfois avec une commission de 0 %. Le blanchiment ne coûte rien au trafiquant. Il est facturé à l’acheteur.
On parle beaucoup de kebabs et de barbiers en ce moment. Pourquoi on ne cite que ceux-là ?
On ne cite que cela car c’est eux qu’on voit. Les gros trafiquants internationaux ne vont pas ouvrir un salon de coiffure à Saint-Dizier pour blanchir leur argent. Ils passent par des professionnels du change à haut niveau, qui gèrent des milliards et mettent l’argent à disposition à l’international.
En revanche, les petits trafiquants locaux, en bout de chaîne, eux, ont besoin de solutions locales pour justifier l’origine de l’argent. Comme ouvrir un commerce visible. Les mécanismes sont très différents selon l’échelle et, paradoxalement, les petits trafiquants font de gros efforts de justification contrairement au gros.
Est-ce que ces réseaux sont accessibles à tout le monde, même aux petits trafiquants ?
Oui. Aux trafiquants comme aux honnêtes gens d’ailleurs. Ces mécanismes de transfert de fonds existent depuis la nuit des temps. Avant même la banque moderne. C’était le meilleur moyen de transférer de l’argent sans le transporter et risquer de se le faire voler en chemin. Dans de nombreux pays, notamment ceux exerçant un strict contrôle du change, ces circuits sont utilisés aussi pour des raisons totalement légitimes avec des fonds propres ! Si je suis un père de famille marocain, par exemple, et que je veux envoyer de l’argent à ma fille à Paris pour payer son loyer, je risque fort de devoir passer par ces réseaux. Pourquoi ? Parce que c’est le seul moyen, vu l’impossibilité de réaliser un transfert bancaire. Et les euros remis à Paris dans une épicerie ? Eh bien, ils viennent souvent… du trafic de drogue.
Quel rôle jouent les paradis fiscaux dans le processus de blanchiment ? Y a-t-il véritablement une amélioration ou une possibilité d’amélioration avec des pays qui, pour diverses raisons, pourraient ne pas collaborer pleinement, comme Dubaï ?
Il y a une vraie amélioration, à tel point que cela pousse certains voyous à partir en Turquie. Ils cherchent des endroits qui permettent d’être connectés au réseau bancaire international et aussi de profiter des réseaux informels, de type hawala, et pourquoi pas un mode de vie agréable au soleil. Et surtout, une faible coopération judiciaire.
Dubaï a longtemps été perçu comme un paradis. Mais aujourd’hui, les autorités locales coopèrent de plus en plus avec leurs partenaires internationaux. Il y a eu des arrestations très médiatisées : des chefs de la camorra, de la mocro maffia, etc.
Est-ce qu’on devrait davantage cibler les facilitateurs, comme les avocats et les comptables, qui participent au blanchiment sans être directement impliqués dans le trafic de drogue ?
Dans les schémas plus complexes et particulièrement pour la délinquance dite « en col blanc », les facilitateurs jouent un rôle important. Ils ont pour mission de brouiller les pistes, opacifier des transactions et empêcher la détection. C’est là que la régulation bancaire entre en jeu pleinement.
Maintenant, pour ce qui concerne la criminalité organisée il y a un petit hic. La compliance bancaire c’est très bien, mais les criminels ne passent pas par les banques. Quand ils le font, c’est en bout de chaîne après avoir déplacé les fonds loin de la commission de l’infraction et il devient très difficile de tracer les flux d’argent et les rattacher à un crime. On a donc règlementé de plus en plus et aujourd’hui, la compliance bancaire est devenue une industrie à part entière dont le coût en Europe s’élève à 85 milliards d'euros par an. C’est énorme. Quand on compare ça à l’évaluation du trafic de drogue, qui est estimé à seulement 3 milliards d'euros, on voit qu’on dépense 30 fois plus d’argent pour lutter contre ce phénomène que n’en produit le phénomène lui-même. Évidemment, il n’y a pas que la drogue mais tout de même. Les gens passent par d’autres filières.
C’est un peu le même problème pour la régulation. On veut à tout prix interdire ou réguler des secteurs comme les commerces de proximité, mais on ne s’attaque pas aux vrais responsables du blanchiment ?
Exactement. C’est comme vouloir fermer un lieu public, sous prétexte qu’il y a eu des violences, au lieu de s'attaquer aux auteurs des violences. De nouvelles règlementations ont plus de chances de compliquer la vie des commerçants honnêtes que de décourager les criminels. Ils iront ouvrir un autre type de commerce ailleurs. Peut-être serait-il plus utile d’augmenter le nombre de magistrats et policiers spécialisés. Si on avait autant de personnes qui luttent concrètement contre la criminalité organisée que de gens qui font profession d’en parler, on aurait probablement moins de problème.
Est-ce qu’on met assez de moyens dans la lutte contre le blanchiment. Pourquoi ne pas embaucher davantage pour s’attaquer à ce phénomène ?
On la développe en réalité. L’arsenal législatif s’est largement renforcé. Il fut un temps où ce n’était pas vu comme une priorité, ce n’est plus le cas. Les moyens ont été renforcés, mais il y a encore un problème de formation et de systématisation de l’enquête financière. Il faut bien comprendre les mécanismes de compensation des fonds et leur nature internationale qui rend ces affaires difficiles à traiter. L’essence même du blanchiment est son aspect international car on ne blanchit pas des milliards dans des salons de coiffures et des ongleries.
Qu’en est-il des crypto-monnaies ? Est-ce un moyen de blanchiment utilisé par les criminels ?
Les crypto-monnaies traînent une très mauvaise réputation. Pourtant, en réalité, les blanchisseurs internationaux s’en désintéressent pour le moment. Et pour cause. Quand vous avez un système de blanchiment traditionnel dont le taux de succès est de 99%, vous ne ressentez pas une urgence à vous diversifier dans les crypto-monnaies. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’affaires en crypto, il y en a de plus en plus, mais concrètement ça ne représente rien en proportion des montants globaux blanchis. Des études sérieuses montrent que 0,35% des transactions en crypto-monnaies est liée à des activités criminelles, essentiellement des fraudes. Si ce niveau justifie une interdiction, alors le dollar et l’euro ont des soucis à se faire. Pour résumer, « quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage ».
La corruption joue un rôle central dans le blanchiment ?
Oui. La corruption est souvent une composante du blanchiment. Elle permet d’en faciliter le processus, et les sommes en jeu ouvrent beaucoup de portes. Les organisations criminelles transnationales sont très puissantes car elles sont très riches, parfois capables de corrompre des fonctionnaires ou d'influencer des individus dans des institutions financières. Cela permet de faire sauter les derniers verrous qui poseraient un problème.
La légalisation pourrait avoir un impact sur le blanchiment ?
Probablement pas, car elle n’en a pas sur les trafics. Il suffit de regarder autour de soi, dans les pays qui l’ont fait, pour voir à quel point cela n'a pas fonctionné. Les trafiquants n’ont pas disparu. Ils se sont diversifiés et, au lieu de se concentrer sur le cannabis, ils se sont tournés vers des lignes d'approvisionnement de drogues dures, comme la cocaïne ou la production en masse de drogues de synthèse. Il me semble au contraire qu’un durcissement des peines (prison et confiscation générale), couplé à une véritable éducation sur les risques (la dangerosité des drogues est rarement évoquée au profit des nuisances sociales), sont les voies à suivre.
Vous avez des pistes pour renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent ?
Il faut continuer à développer le volet répressif. La France est un grand pays avec une demande importante venant des consommateurs de drogues, et pourtant les grands acteurs criminels internationaux au niveau européen sont principalement des groupes balkaniques, néerlandais ou anglo-saxons. Ce n’est pas un hasard. En France, la pression policière et judiciaire est telle, que même si le phénomène demeure très inquiétant, les criminels restent constamment harcelés. Il faut intensifier cette lutte en systématisant la saisie des avoirs criminels. Cela envoie un message fort et réduit les moyens financiers des criminels et donc leurs capacités de nuisance.
Il faut aussi bien sûr renforcer la coopération internationale et développer les techniques d’enquête spéciales, car avec les nouvelles technologies et les problématiques de chiffrement, il devient plus difficile de suivre les activités criminelles. Il est impératif de renforcer ces capacités d’enquête pour contrer les défis technologiques.
Argent sale : la traque, de Quentin Mugg, éd. Fayard
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