Changer de voie : enjeux de la sortie de la délinquance

Changer de voie : enjeux de la sortie de la délinquance
Photo by Milad Fakurian / Unsplash

Dans la délinquance, les "petites mains" du trafic sont souvent confrontées à un plafond de verre pour évoluer dans la hiérarchie. Elles ont du mal à avoir accès aux réseaux de blanchiment d'argent. La majorité des personnes engagées dans la délinquance finissent par en sortir, souvent usées, désabusées. La précarité reste présente, même dans l’illégal. La mise en couple, une carrière ou le fait d’être mis en relation avec des gens qui ne sont pas de notre giron habituel sont les premières raisons de la désistance.
Valerian Benazeth, docteur en sciences politiques, spécialiste des processus de desistance, de l’analyse des déviances et des institutions pénales nous apporte un éclairage riche, porté par des voix du terrain, des récits de vie et un appel à repenser nos cadres d’analyse.

Est-ce que vous pouvez expliquer ce qu’est la désistance et en quoi elle se distingue de l’absence de récidive ?

La désistance, ce sont les processus qui amènent à changer de mode de vie — en particulier pour des personnes qui étaient impliquées dans la délinquance, mais pas seulement. Ça peut aussi concerner des parcours liés à l’addiction, à la prostitution, au militantisme… Mais l’essentiel de la littérature que j’ai compulsée, qui est quand même présente et dominante, concerne les modes de vie criminels.

Ce en quoi ça diffère de la simple absence de récidive, c’est que la récidive, elle, est toujours pensée du point de vue des institutions : c’est un enregistrement officiel de quelque chose qui a eu lieu. À partir de là, on parle de récidive. Il peut y avoir des gens qui continuent à commettre des actes de délinquance, mais qui ne sont plus enregistrés : ils ont changé de territoire, d’activité, ils sont plus malins… Donc on peut ne pas récidiver, mais ne pas être du tout dans un processus de transformation.

À l’inverse, il y a aussi des personnes qui continuent à commettre certains actes — disons des actes mineurs, ou en tout cas en décélération, en désintensification — et qui sont toujours considérées comme récidivistes, alors même qu’on pourrait commencer à dire qu’elles entament une désistance. Qu’elles se disent : « Je ne vais pas pouvoir perdurer dans la voie criminelle, c’est pas comme ça que je vais réussir ma vie. »

J’ai des cas concrets de personnes sur lesquelles j’ai enquêté. Par exemple, quelqu’un qui avait trafiqué de la cocaïne pendant un temps, et qui, après coup, s’était mis à faire un petit peu de deal de cannabis, juste pour joindre les deux bouts. Je ne dis pas que c’est bien ou qu’il faut que cette personne soit condamnée pour ça, ce n’est pas la question. Mais dans leur mode de vie, on est dans un entre-deux : elles continuent un peu, temporairement, avec l’objectif de sortir complètement. Donc on pourrait dire qu’elles entament un processus de désistance, mais qu’elles restent, sur le papier, des récidivistes.

Et quels sont les profils des personnes que vous avez rencontrées dans vos enquêtes ?

Oui, c’est tout à fait pertinent de le préciser. Moi, je travaille sur la délinquance dite de rue — en anglais, on parle de street crimes. C’est-à-dire que je ne suis pas allé enquêter des personnes issues de milieux socio-économiques plus élevés, qui feraient de la délinquance en col blanc, de l’évasion fiscale ou des infractions à caractère sexuel ou sexiste. Ce sont des zones un peu différenciées, même s’il peut y avoir des recoupements.

Mais là, ce que j’ai étudié est très spécifique : ce sont des personnes visibles dans l’espace public, dans la rue, et pour qui les questions d’opportunité et d’accès font qu’ils privilégient certains types de pratiques. À Paris — puisque mes terrains étaient principalement à Paris et en banlieue parisienne —, ce qui domine très clairement, c’est le trafic de stupéfiants. C’est à la fois le plus important et le plus accessible.

On trouve aussi un peu de vols, de recel, parfois des cambriolages ou des braquages pour ceux qui montent d’un cran en termes de professionnalisation, ou bien qui basculent dans d’autres types de substances, plus incriminées, plus rémunératrices, comme la cocaïne, parfois l’héroïne, etc. Ces parcours-là sont un peu plus structurés, plus “sérieux” si on peut dire. Mais la majorité des personnes que j’ai rencontrées, c’était des parcours de basse ou de moyenne délinquance, en banlieue parisienne.

Quels sont les facteurs qui, selon vos travaux, favorisent la désistance ?

Il faut d’abord être prudent. Quand on parle de “facteurs”, ça peut donner l’impression qu’ils sont systématiquement opérants, presque mécaniques. Or, je parle ici sous couvert des recherches existantes, parce que de mon côté, avec la taille de mon échantillon, je ne pourrais pas dire que j’ai dégagé des facteurs statistiquement significatifs. Mais certains éléments reviennent de manière récurrente dans la littérature comme dans mes propres entretiens.

Historiquement, on cite souvent le mariage. Aujourd’hui, on parlerait plutôt de mise en couple, puisque l’institution du mariage a perdu de son importance. Cette mise en couple, quand elle est stable et soutenante, peut vraiment jouer un rôle de tournant. Autre facteur bien connu : le travail. Mais attention, pas n’importe quel travail. Ce qui compte, c’est d’obtenir un emploi satisfaisant, pas juste une activité pour remplir des obligations légales. Sinon, ça peut être complètement inutile, voire contre-productif. De la même manière, la parentalité peut peser : devenir parent oblige à se projeter autrement, à endosser des rôles sociaux plus conventionnels. Plusieurs personnes m’ont dit : "Comment je peux continuer à vendre du shit alors que je vais dire à mes enfants de ne pas toucher à ça ?" Ce sont des contradictions intimes puissantes.

À côté de ces “classiques”, d’autres éléments plus fins émergent dans les enquêtes micro. Par exemple, le fait d’être mis en relation avec des gens qui ne sont pas dans notre giron habituel. Ce que Granovetter appelle la force des liens faibles : des rencontres avec des personnes socialement éloignées, avec d’autres modes de vie, d’autres horizons. Ces gens peuvent avoir des hobbies, un mode de vie simple mais structurant. Et ce contact peut aider à remplir les vides, à trouver de nouveaux appuis identitaires là où il y avait un manque qui poussait vers la délinquance.

Un autre élément, la religion, est aussi bien documenté, notamment aux États-Unis mais pas uniquement. La ferveur religieuse, le fait de se rapprocher d’une communauté de croyants, peut offrir un récit de rédemption puissant — qu’on retrouve dans les trois monothéismes, par exemple. Cela permet parfois une reconversion identitaire rapide, en quelques mois seulement, alors que l’insertion professionnelle classique prend souvent des années. Même pour des jeunes diplômés sans casier, il faut parfois six ou sept mois pour trouver un boulot. Imaginez donc pour quelqu’un avec un passé pénal et peu ou pas de diplômes… Dans ce contexte, les mises en relation avec des gens qui vous font confiance, qui vous tendent la main, peuvent être cruciales.

Autre levier observé : la citoyenneté, dans un sens très ordinaire. Ce n’est pas qu’ils n’étaient pas citoyens avant, mais ils étaient en défiance vis-à-vis des institutions. Et certains se réinvestissent dans des actes quotidiens : "Je paie des impôts comme tout le monde", "Je veux voter", etc. Ce sont des formes d’appropriation symbolique de leur place dans la société.

Parfois, il y a aussi une volonté de réparer le passé : certains anciens “gros voyous” deviennent des parents d’élèves très investis, justement parce qu’ils identifient les moments où eux-mêmes ont basculé et veulent éviter cela à leurs enfants.

À quel point l’identité et la façon dont on se perçoit soi-même sont-elles importantes dans ce processus ?

Il ne faut pas négliger le rôle de l’identité dans ce processus. Je ne parle pas ici de personnalité (ce serait plus psychologique), mais bien d’identité construite : comment on se perçoit, comment les autres nous perçoivent, les récits qu’on garde sur soi-même. L'identité, c’est en partie ce qui reste le même en nous, ce qu’on arrive à maintenir, à projeter, à reconstruire.

C’est aussi là que le regard des autres devient essentiel. On a besoin que d’autres personnes valident ce changement. Que quelqu’un dise : "Oui, cette personne a changé, elle a pris un autre chemin." Cette reconnaissance sociale est une clé de la désistance.

Dans certains modèles, on parle même de désistance tertiaire. La première, c’est juste arrêter les actes. La deuxième, c’est se dire à soi-même : "J’ai changé." Et la troisième, c’est quand ce changement est reconnu dans d’autres cercles : "Je fais maintenant partie d’un club sportif, d’une asso culturelle, je transmets." On n’a plus de lien avec la délinquance, directement ni même indirectement, parce qu’on participe à détourner les autres de ce monde-là.

Et bien sûr, tout ça n’est pas égalitaire. Selon le quartier où vous vivez, vous n’avez pas les mêmes chances d’échapper à ces offres délinquantes. Dans certains secteurs, comme les quartiers nord de Marseille, c’est omniprésent. Même si vous voulez rester à l’écart, c’est très difficile. D’où l’importance de créer des cercles alternatifs, qui permettent de construire autre chose, ailleurs.

Vous avez parlé dans vos recherches d’un seuil critique dans l’évolution ?

Oui, il existe un plafond de verre : tout le monde ne peut pas passer à un niveau plus “extérieur”, plus en retrait, dans la pyramide du trafic. Organiser le trafic de plus loin, ça demande plus de ressources, plus de capacités, plus de relais. (Plus on monte dans la hiérarchie, moins on touche à la drogue concrètement, ndlr)

Un des éléments communs que j’ai retrouvés chez ceux qui avaient tenté ce passage — et qui commençaient à faire pas mal d’argent, rapidement —, c’était la question du blanchiment. Le blanchiment d’argent, concret, pragmatique, réel, pas fantasmé. Dans les faits, pour blanchir des sommes importantes, de manière régulière, dans l’économie légale, les gens peinent clairement.

Il y a un vrai distinguo entre ceux qui ont un mode de vie criminel, et ceux qui arrivent à intégrer un cercle, des relations, des techniques, des moyens, qui permettent vraiment de blanchir de manière professionnelle. Là, on passe à une autre gamme de parcours.

Je ne dis pas que les deux ne peuvent pas être connectés — organiser tout en haut de la pyramide du trafic, c’est possible —, mais ceux que j’ai vus, leurs ambitions se brisent souvent là-dessus. Ce couperet : ne pas réussir à transformer des revenus rapides issus d’activités illégales en patrimoine légal.

Ce qui permet de passer ce plafond de verre, c’est une forme d’adaptabilité, de compréhension du réseau, d’accès aux bons relais. Parce que moi, j’ai passé du temps avec des personnes aux parcours plus modestes, moins professionnalisés, moins rémunérateurs, dans la délinquance de rue.

Ceux qui s’en sortent un peu mieux, ce sont souvent ceux qui ont réussi à trouver les bons intermédiaires, les bons acteurs, les bonnes protections, les bonnes filières pour blanchir. Et là, les réseaux de blanchiment d'argent les plus accessibles sont les petits commerces de bouche, ou les commerces de proximité, qui permettent de blanchir de l’argent liquide.

Mais même dans ces cas-là, il peut y avoir des aléas. Je pense à une personne que j’ai interrogée : elle avait réussi à investir dans un kebab en prétendant que les fonds venaient de gains aux jeux — plusieurs fois 70 000€ gagnés la même année. Sauf que, au moment de l’aménagement de peine, les juges n’ont pas validé. Ils ont trouvé ça trop curieux : « Monsieur, la chance vous sourit drôlement... » Et ils lui ont demandé de prouver l’origine des fonds. Il s’est défendu comme il a pu, mais on lui a refusé l’aménagement de peine.

Au lieu de faciliter son parcours de réinsertion, cette façon de fonctionner l’a plutôt freiné à ce moment-là. Plus tard, quand je l’ai recontacté, il était sorti de ces actes de délinquance. Mais ce genre de coup d’arrêt montre que le passage vers un autre mode de vie est semé d’embûches.

La désistance est-elle un processus linéaire ? Peut-il y avoir des rechutes ?

Non, la désistance n’est généralement pas un processus linéaire. La rechute n’est pas systématique, mais elle est fréquente, presque intégrée au parcours de sortie de la délinquance. Bien sûr, certains individus changent de trajectoire de manière brutale et définitive — et c’est tant mieux — mais la plupart du temps, c’est un processus progressif, fait de détours et de zigzags. C’est ce que décrit notamment le chercheur Daniel Glaser, et cela correspond à ce que j’ai observé dans mon enquête auprès de 33 personnes, ainsi qu’à ce que la littérature sur les processus de changement montre.

En réalité, sortir de la délinquance peut être comparé à une reconversion professionnelle. On n’imagine pas quelqu’un devenir écrivain du jour au lendemain après avoir été influenceur, sans formation, sans réseau, sans visibilité. De même, s’extraire du milieu délinquant demande du temps : des mois, voire des années.

Ce processus est aussi fortement influencé par les ressources dont disposent les personnes. Par exemple, ceux qui ont un capital économique ou culturel plus élevé peuvent parfois s’appuyer sur leur famille pour se réinsérer : travailler dans l’entreprise des parents, par exemple. Mais pour les autres, les obstacles sont nombreux, notamment l’isolement social, les addictions ou le manque de perspectives.

Les addictions jouent un rôle majeur : elles freinent les tentatives de désistance et renforcent l’ancrage dans la délinquance. Dans ma thèse, j’ai consacré un chapitre entier aux addictions. Parmi les 33 personnes interrogées, environ deux tiers ont consommé des substances et ont été judiciarisées à cause de cela. Ceux qui étaient le moins concernés par les drogues étaient souvent engagés dans des activités sportives régulières, ce qui semble avoir joué un rôle protecteur.

Quel est le lien avec l'addiction dans vos recherches ?

Vivre dans l’illégalité est source de stress permanent : pression policière, risques de condamnation, gestion des conflits sans médiation légale, etc. Il faut des ressources mentales importantes pour supporter tout cela. L’expérience carcérale, en particulier, laisse des traces psychologiques durables. Même les plus "durs" finissent par se confier quand on établit une relation de confiance dans le cadre d’une recherche. Ils évoquent souvent, par exemple, le bruit des clés en prison, qui continue à les hanter.

Le confinement lié à la pandémie a d’ailleurs permis à toute la société de goûter, dans une certaine mesure, à la privation de liberté. Cela a mis en lumière les effets psychologiques de l’enfermement, même dans un contexte bien moins sévère que la prison.

On a l’impression en écoutant certains que c’est la vie de Cocagne. Quelle est la réalité financière de ces jeunes ?

Contrairement aux idées reçues, l’argent issu de la délinquance n’est pas "facile". Il peut être rapide, certes, mais il demande des efforts considérables : longues heures, stress, organisation, maîtrise du territoire, gestion des risques… Les "petites mains" du trafic, notamment, peuvent gagner moins qu’un SMIC horaires. La précarité reste présente, même dans l’illégal.

Ceux qui s’en sortent le mieux sont souvent ceux qui parviennent à se retirer progressivement du terrain : ils délèguent les livraisons, mettent des intermédiaires entre eux et les clients, deviennent des gestionnaires. Mais même à ce stade, il faut des compétences en logistique, en gestion, et une capacité à assurer sa sécurité personnelle.

Quelles sont les pratiques les plus rémunératrices ? Ou préférez-vous qu’on parle, par exemple, avec des paliers entre le cannabis et la coke ?

Clairement, le cannabis est prévalent. Je rappelle les chiffres fournis par l’OFDT, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, qui nous dit qu’à 18 ans, 50 % de la population française a déjà, au moins une fois, expérimenté le cannabis. Je pense que ça donne un état des lieux clair de sa prévalence, de comment on peut y accéder, etc.

Mais c’est le plus accessible, donc ce n’est pas aussi le plus rémunérateur. Dans les parcours, souvent, on passe à d’autres substances, parce qu’elles sont plus criminalisées, et donc justifient d’un revenu, d’une rémunération plus élevée. Même si, l’un des seuls indicateurs pour savoir si le trafic baisse ou augmente, c’est le prix — le prix du gramme, concrètement. Et celui-ci continue un peu de baisser, apparemment, notamment pour la cocaïne. Donc ça plaiderait plutôt pour dire que, malgré la criminalisation, malgré les efforts étatiques, les filières arrivent à acheminer plus qu’avant. Clairement, la demande est là. Et le cursus, en tout cas, c’est plutôt d’aller des produits moins addictifs, moins criminalisés, vers les plus, parce que c’est plus rémunérateur.

Et, deuxième chose aussi : l'envie de se mettre en retrait petit à petit, de ne plus être sur le terrain, dans la rue, pour le faire. J'ai pu voir que ceux qui commençaient à des niveaux moyens géraient plutôt des équipes qui livraient en scooter, etc. Ensuite, les autres servaient plutôt d’intermédiaires, de plateforme — tout ce qui permet de mettre des écrans, des barrières (et donc qui peut être moins facilement judiciarisée) avec ceux qui servent directement les clients ou s’occupent des éléments logistiques.

En termes de temps passé dans la rue et de rémunération, on peut souvent être en dessous d’un SMIC. Ce n’est pas légal, il n’y a pas d’URSSAF à payer, les sommes viennent tout de suite en liquide, etc. Donc ça peut un peu compenser, pour certaines personnes qui ont des vies précaires, d’avoir d’un seul coup 1000 € en liquide. Mais pour les petites mains, en tout cas, en termes de volume horaire, on est bien loin de l’idée de « l’argent facile ». Ce n’est pas de l’argent facile, c’est faux. C’est de l’argent rapide.

De plus, sur le terrain, il faut contraindre, il faut réguler. Ce sont des violences. Il faut maîtriser son territoire, il faut être capable de manier son capital guerrier, pour assurer sa propre sécurité. Il faut aussi des capacités comptables, entrepreneuriales. Il y a de vraies compétences, quelque part, qui — on l’espère — seront un jour mises à l’œuvre et à profit dans la sphère légale, plutôt que dans l’illégal.

La solidarité existe-t-elle ?

Il y a un décalage, comme souvent, entre les vertus du milieu — l’honneur, etc. — mises en avant et les réalités. Quand on est judiciarisé, qu’on vit des périodes de vaches maigres, des périodes d’incarcération ou des moments où y’a moins d’argent, on peut se sentir seul. Certains me disent : « Quand je suis dans la cocaïne, que ça fonctionne, que je participe à ce milieu-là, que je brasse de l’argent, j’ai 50 relations sous la main, tout le temps. Ils sont prêts à faire la fête, à m’aider, à être là. Mais quand je me suis fait judiciariser, que j’ai pris des peines de prison, que j’ai moins d’argent, que mon trafic a eu un problème — j’ai eu des pertes sèches, j’ai pas pu vendre, j’ai pas été livré, je me suis fait arnaquer (ça arrive beaucoup dans ce giron-là aussi) — des vrais amis, j’en compte un ou deux, maximum. »

Quelles pistes encore sous-explorées dans les études sur la désistance ?

De manière systémique, les parcours des jeunes femmes sont sous-explorés. Il y a des explications. Il y a peut-être déjà notre socialisation — plutôt occidentale, qui demeure marquée par certains éléments patriarcaux, etc. — où plus de docilité est exigée, inculquée dès le jeune âge aux jeunes femmes. Donc, peut-être une moindre propension à « débloquer », mais il faudrait des études pour objectiver ça, suivre des personnes avec des parcours dans la délinquance.

Autre chose : il faudrait éclairer la période post-pénale. Encore une fois, il nous faut des cohortes, en France, absolument. J’ai déjà soumis des projets de recherche à des organes qui financent un peu — l’IRD notamment, l’Institut des études de la recherche sur le droit et la justice — mais ça n’a pas été accepté pour l’instant. On retentera, à d’autres occasions, ou peut-être à l’échelon européen.

L’idée, ce serait d’avoir des cohortes, comme ce qui s’est fait aux États-Unis ou au Royaume-Uni : suivre 200 ou 300 personnes, sur 5, 10, 15 ans, qui ont eu un passé pénal et qui, maintenant, s’en sont bien éloignées. Et là, regarder, objectivement — encore une fois, essayer de se rapprocher, avec des moyens scientifiques, du réel — qu’est-ce qui a fait qu’ils ont changé de parcours.

Quelque chose qui m’intéressait beaucoup, c’est de voir comment les compétences acquises dans le milieu délinquant peuvent être réinvesties avec succès dans des milieux professionnels. Il reste beaucoup à faire. Comment puiser là-dedans ? Je pense qu’il y aurait des choses à activer, de ce côté-là, des leviers. Le sport, la culture, ce sont des choses qui servent beaucoup. On pourrait développer un talent qui était resté embryonnaire, parce que l’école a été très courte, parce qu’on s’est senti disqualifié du savoir, de l’écrit, de la lecture.

Nous ne devons pas seulement réussir par l’économique. Dans les messages dominants de nos sociétés, très capitalistes, nous nous basons sur notre salaire pour démontrer notre réussite. Si on n’a pas un diplôme, une situation stable, tout va être compliqué.

Venir d’un quartier ségrégué et avoir un niveau socio-économique faible ne donnent pas accès aux mêmes ressources. Si on est un homme, avec une histoire de migration en plus, une religion minoritaire aussi… Si en plus l’école a été abandonnée précocement, si on s’est senti disqualifié, etc., c’est très compliqué de se projeter dans une réussite de vie.

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