CPI 2025 : La France recule, mais la corruption change plus qu'elle n'augmente

CPI 2025 : La France recule, mais la corruption change plus qu'elle n'augmente
Photo by Elimende Inagella / Unsplash

Le Classement 2025 de l’Indice de Perception de la Corruption (CPI) de Transparency International, publié le 11 février, révèle une tendance inquiétante : la France recule de cinq places. Ce classement, qui évalue la perception de la corruption dans le secteur public à travers le monde, suscite chaque année son lot de débats et de critiques.

Dans cet entretien, Dan Hough, professeur de sciences politiques à l'Université du Sussex et expert en matière de corruption, apporte son éclairage sur les limites du CPI, l’évolution des formes de corruption et l’impact du populisme et des réseaux sociaux sur la perception de ce phénomène. Fort de son expérience de consultant auprès du gouvernement britannique et des commissions anti-corruption en Arabie saoudite et en Corée du Sud, il décrypte les tendances actuelles et les défis à venir en matière de transparence et de gouvernance.

Selon vous, quels sont les principaux enseignements à tirer des résultats de l’IPC 2024 ?

Je pense que le CPI est outil imparfait, je ne m’accrocherais pas trop aux chiffres. Il y a de nombreuses raisons de penser que le CPI ne reflète pas toujours la réalité, mais il y a clairement une tendance récente à s’éloigner des positions classiques de la démocratie libérale. On observe une augmentation du secret et un mouvement vers moins de transparence, ce qui a inévitablement un impact sur les données. Je ne pense pas que le monde de la lutte contre la corruption aille très bien en ce moment. Cela s'est encore accentué, depuis la publication du CPI, avec la décision du gouvernement américain, d’une manière qui lui est propre, de supprimer de nombreuses institutions ou, du moins, de les priver de ressources, l’exemple le plus flagrant étant la pause du FCPA (Foreign Corrupt Practices Act). La situation risque donc de s’assombrir avant de s’améliorer.

En Europe, la moyenne du CPI a décliné. Comment expliquez-vous cette tendance dans des démocraties établies ?

Je pense qu'en fin de compte, l’Europe est confrontée à de nombreux défis plus vastes que la corruption. C'est donc avant tout un défi de gouvernance : comment gérer des démocraties post-industrielles complexes ? L'Allemagne en est le meilleur exemple : elle fait face à une multitude de défis qui rendent la lutte contre la corruption moins prioritaire. Aucun politicien ne l’admettra, mais ils ont énormément d'autres problèmes à gérer. Certes, les gouvernements ont toujours beaucoup à faire, mais en ce moment, ils sont particulièrement débordés, et cela signifie que la corruption n’est tout simplement plus aussi importante qu’elle l’a été ces dernières années.

Le CPI est basé sur la perception de la corruption. Dans quelle mesure pensez-vous que cette perception reflète la réalité ?

Je pense qu’il ne reflète pas parfaitement la réalité. Il y a de nombreuses raisons de critiquer le CPI. Les données proviennent d’enquêtes auprès des entreprises et, bien que les chefs d’entreprise soient importants, ils ne représentent pas tout. Les données elles-mêmes sont parfois irrégulières et incohérentes. Si vous examinez la méthodologie, vous verrez rapidement ses limites. Un exemple évident : l'indice va de 1 à 100, et la Chine a obtenu le même score que São Tomé-et-Principe. L’une de ces nations compte plus d’un milliard d’habitants, l’autre beaucoup moins. Donc, je ne pense pas que la méthodologie ne puisse jamais être infaillible. Mais cela reste un baromètre important : il nous montre comment la corruption est perçue. Or, nous agissons toujours en fonction de notre perception de la réalité. Pour donner un exemple absurde : si j’imagine qu’un tigre est assis juste à côté de moi, je vais fuir immédiatement, que le tigre soit réellement là ou non. Ce qui compte, c’est ma perception. De la même manière, les perceptions sur la corruption nous donnent une indication forte de ce que les gens pensent, même s’ils se trompent parfois.

Le populisme joue-t-il un rôle dans cette perception plus marquée que la réalité ?

Le populisme n’est pas nouveau. Ce n’est pas comme s’il avait été inventé la semaine dernière : il existe depuis 30 ou 40 ans. Certes, il est devenu à la mode ces dernières années, mais c’est une partie intégrante de la démocratie, ce n’est pas un phénomène marginal. Donc, en soi, je ne pense pas que cela change tant que ça. Il y a toujours eu des populistes. Ce qui est nouveau, en revanche, c'est l’explosion des interactions sur les réseaux sociaux. Je n’ai jamais utilisé TikTok de ma vie, je suis peut-être la seule personne sur Terre dans ce cas, mais ces plateformes sont essentielles pour comprendre comment les gens reçoivent et diffusent l’information, qu’elle soit politique ou autre. Et c'est là que réside le problème : les bulles de filtrage et les chambres d’écho amènent les gens à croire que certains problèmes de corruption sont plus graves qu’ils ne le sont réellement, ou inversement. Donc, la désinformation est un problème plus important que le populisme lui-même.

Avons-nous encore de la corruption ou ne l’acceptons-nous simplement plus ?

La corruption a changé, elle a muté. L’image du pot-de-vin dans une enveloppe contenant 50 000 euros ne correspond plus vraiment à la réalité. Cela arrive encore, mais beaucoup moins. Aujourd’hui, les individus exploitent les règles en leur faveur de manière parfaitement légale. Les vrais défis de la corruption ne sont plus les pots-de-vin, mais ce qu’on appelle la « corruption légale » : des comportements qui respectent la loi, mais dont nous savons tous qu’ils sont moralement discutables. Ce type de corruption est plus difficile à combattre, et certains gouvernements ne veulent tout simplement pas la combattre. C'est un problème qui continuera d’exister, car ceux qui en profitent adapteront toujours leurs méthodes.

Que peut-on observer chez les pays qui obtiennent les meilleurs scores, comme la Finlande ou le Danemark ?

Il y a deux choses essentielles. Premièrement, le secteur public y est bien formé, bien payé et bénéficie d’une grande confiance. Cela repose sur des décennies de fonctionnement efficace, mais aussi sur une culture du service public où les fonctionnaires sont des membres respectés de la société, ce qui n’est pas le cas partout. Deuxièmement, il existe une transparence extrême. Si quelqu’un est pris en faute, il démissionne immédiatement. Un exemple frappant : une ministre suédoise a été contrainte de démissionner parce qu’elle avait utilisé la carte de crédit du gouvernement pour acheter… des serviettes en papier pour son enfant ! Elle a immédiatement quitté son poste. Comparez cela aux scandales au Royaume-Uni, où de nombreux responsables ne démissionnent pas pour des fautes bien plus graves. Cette culture d’ouverture, de responsabilité et de confiance fait toute la différence. Le problème, c’est que cela prend du temps à mettre en place.

On retrouve aussi en haut du classement des pays connus pour leur secret bancaire comme Singapour ou la Suisse. Cela a-t-il du sens ?

Le CPI mesure la corruption dans le secteur public, pas dans le secteur privé. C’est là le problème. La corruption liée au blanchiment d'argent ou aux fraudes bancaires n’apparaît pas vraiment dans cet indice. Transparency International dirait que le CPI est un indicateur de la corruption du secteur public et ne couvre pas les banques privées. Mais cela pose une vraie difficulté : beaucoup d’affaires de corruption sont en réalité liées au secteur privé, qui n’est pas mesuré ici.

Avant, nous ne mesurions pas la corruption en tant que problème systémique. Peut-on vraiment dire qu’elle augmente ou diminue ?

Le CPI a commencé comme une thèse de doctorat, puis est devenu cet outil mondialement reconnu. C’est très difficile à mesurer, et même Transparency International admet qu’ils n’ont pas une solution parfaite. C’est pourquoi de plus en plus d’analystes préfèrent utiliser des indicateurs spécifiques à certains secteurs plutôt que des indices globaux.

Chaque année, le CPI est critiqué car on pense que notre pays est toujours pire. Qu’en pensez-vous ?

Si les gens l’utilisent mal, alors il ne leur dira pas ce qu’ils veulent entendre. Le fait qu’un pays obtienne un meilleur score qu’un autre ne signifie pas grand-chose en soi. Mais si on arrête de publier le CPI, on perd un outil qui permet au moins de faire parler de la corruption. Transparency International dit : « Si vous pensez que c’est nul, proposez quelque chose de mieux. » Tant que personne ne le fait, le CPI reste un indicateur imparfait mais utile.

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