Invisibles mais influentes : le rôle des femmes dans la criminalité organisée

Invisibles mais influentes : le rôle des femmes dans la criminalité organisée
Photo by L'Odyssée Belle / Unsplash

Les recherches menées par l’OSCE montrent que les femmes représentent jusqu’à 40 % des membres des groupes criminels organisés, pourtant longtemps considérée comme un phénomène exclusivement masculin. Leur rôle, souvent méconnu, est pourtant essentiel pour comprendre les dynamiques à l’œuvre au sein de ces réseaux criminels et pour mettre en place des stratégies de prévention et de sortie réellement efficaces.

Pour répondre à ces questions, nous avons interviewé l’Ambassadrice Alena Kupchyna, Coordinatrice des activités de l’OSCE en matière de lutte contre les menaces transnationales (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Forte d’une vaste expérience diplomatique et sécuritaire, elle partage avec nous les résultats d’une étude inédite menée dans 14 pays, et éclaire les angles morts des politiques actuelles en matière de genre et de criminalité organisée.

Vous occupez une position clé en tant qu’ambassadrice auprès de l’OSCE. Qu’est-ce qui vous a motivée à vous engager sur ces questions spécifiques de genre et de criminalité organisée ?

La criminalité organisée n’est pas neutre du point de vue du genre ; elle affecte différemment les hommes et les femmes. Il est essentiel de mieux comprendre les personnes impliquées dans des activités criminelles afin de promouvoir la justice et d’apporter le meilleur soutien possible aux victimes. Les femmes ont longtemps été invisibles en tant que membres actifs au sein des structures criminelles, ce qui explique leur absence – ou leur sous-représentation significative – dans les programmes de prévention de la criminalité et des dispositifs permettant d’en sortir en toute sécurité.

Les recherches menées par l’OSCE montrent que les femmes et les filles représentent jusqu’à 40 % des membres des groupes criminels organisés. Pourtant, elles restent largement exclues des initiatives de prévention et de sortie. Par exemple, dans de nombreux pays de la zone OSCE, les femmes représentent moins de 10 % des bénéficiaires des programmes de protection des témoins liés à la criminalité organisée. Cela démontre clairement que ces programmes sont encore largement conçus pour les hommes et les garçons. Les femmes et les filles n’ont pas le même accès à ces mesures de soutien.

Il ne s’agit pas uniquement d’une question de justice pénale, mais aussi d’une question d’égalité entre les sexes. Je suis motivée par l’envie d’aider les États à mieux comprendre le fonctionnement de la criminalité organisée et de ses acteurs, y compris les femmes, afin qu’ils soient mieux à même de mettre en œuvre des mesures de démantèlement efficaces.  Mon objectif est aussi de promouvoir des approches inclusives de prévention et de sortie, qui soutiennent aussi bien les femmes que les hommes  pour poursuivre leur vie, en dehors de la criminalité.

Un rapport de l’OSCE souligne que les autorités sous-estiment souvent l’implication des femmes dans la criminalité organisée transnationale. Quels stéréotypes ou préjugés alimentent cette sous-estimation, et comment peut-on y remédier ?

Les stéréotypes et biais de genre influencent la perception des acteurs de la criminalité organisée. Ils ont contribué à ce que les forces de l’ordre considèrent avant tout les femmes comme des victimes, ce qui fait que leur rôle actif au sein des groupes criminels est rarement reconnu.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Un exemple souvent mis en avant dans les recherches de l’OSCE concerne la perception de ceux à la tête de groupes criminels. On considère fréquemment qu’un groupe est dirigé par un homme en tant que  figure familiale, parfois même déjà incarcéré. Pourtant, en y regardant de plus près, c’est souvent l’épouse ou la compagne qui est réellement aux commandes ou y joue un rôle égal, en dirigeant les opérations criminelles, en ordonnant des actes de violence et d’extorsion, en gérant les alliances et le blanchiment des produits du crime.

Malgré cela, les stéréotypes de genre profondément ancrés amènent les forces de l’ordre à occulter le rôle des femmes. Cela a deux conséquences majeures : 1) les femmes peuvent agir avec une relative impunité, ce que les groupes criminels exploitent pour commettre des délits ; 2) les femmes échappent aux radars des initiatives de prévention et de sortie.

L’OSCE aide les États participants à lutter contre les stéréotypes de genre concernant les auteurs de criminalité organisée par le biais de formations ciblées. Nous allons bientôt lancer une nouvelle initiative à destination des États membres de l’Union européenne et de l’Europe du Sud-Est, axée sur la dimension de genre dans la criminalité organisée, autour de trois axes principaux :

  1. Sensibiliser les professionnels de la justice pénale au rôle des femmes dans la criminalité organisée.
  2. Soutenir les acteurs du système de justice pénale à traiter les affaires impliquant des femmes et à créer des programmes qui reconnaissent leur rôle actif.
  3. Encourager un dialogue régional sur l’inclusion des femmes dans les efforts de prévention et de sortie de la criminalité organisée.

La criminalité organisée est un phénomène transnational : les criminels agissent au-delà des frontières, et nos réponses doivent donc elles aussi dépasser le cadre national pour être efficaces. L’OSCE constitue une plateforme essentielle pour permettre aux praticiens d’échanger leurs expériences et leurs bonnes pratiques à l’échelle régionale et interrégionale.

En examinant le rôle des femmes dans la criminalité organisée à travers une assistance technique ciblée, nous aidons les États participants à rendre leurs efforts de lutte contre la criminalité organisée plus globaux et plus efficaces.

Pensez-vous que la question des femmes dans la criminalité est suffisamment étudiée et prise en compte dans les politiques publiques et les institutions internationales ?

Il existe d’importantes lacunes en matière de connaissances sur ce sujet. Si la recherche s’est concentrée sur la victimisation et l’exploitation des femmes par la criminalité organisée – un aspect essentiel, bien entendu –, il y a en revanche un manque d’études sur les femmes en tant que membre actif à part entière de ces réseaux criminels.

L’OSCE est fière de son travail pionnier dans ce domaine, ayant réalisé la toute première étude internationale fondée sur des données provenant de 14 États participants en Amérique du Nord, en Europe et en Asie centrale.

Nos conclusions sont essentielles pour permettre aux pays de la zone OSCE, et au-delà, de mieux comprendre la criminalité organisée dans son ensemble, en incluant tous ses acteurs, y compris les femmes, afin de développer des stratégies de prévention et de sortie plus efficaces et inclusives.

A-t-on observé récemment des avancées dans la reconnaissance du rôle des femmes dans la criminalité organisée, ou reste-t-on encore dans une vision largement centrée sur les hommes ?

Même si la vision centrée sur les hommes domine encore largement, un changement progressif est en cours, en partie grâce aux recherches menées par l’OSCE. Nous sommes fiers d’avoir été à l’initiative de discussions sur le rôle et implication des femmes dans ce domaine, dans les forums internationaux de politique publique ainsi qu’avec les professionnels de la justice pénale en Asie centrale, en Europe de l’Est et du Sud-Est. Ces échanges permettent de remettre en question les biais de genre et de mieux comprendre le rôle des femmes dans les réseaux criminels.

Quels sont les principaux facteurs qui poussent les femmes à rejoindre des organisations criminelles, notamment dans le trafic de drogue ?

Les données de l’OSCE montrent que le recrutement des femmes et des filles dans la criminalité organisée est un phénomène complexe. D’un côté, il est alimenté par des vulnérabilités socio-économiques et par l’exploitation sexuelle. De l’autre, il repose sur de fausses promesses d’argent, de statut social et d’un sentiment d’appartenance – souvent véhiculées sur les réseaux sociaux.

Les groupes criminels organisés diversifient de plus en plus leurs stratégies de recrutement, ciblant autant les garçons que les filles. Si la pauvreté demeure un facteur de risque central, le recrutement dépasse désormais les seules considérations socio-économiques. Les jeunes issus des classes moyennes sont également visés, car ils n’ont généralement pas de casier judiciaire et ne sont pas fichés par la police. Contrairement aux individus déjà connus pour leurs liens avec le crime, ils échappent à la surveillance des forces de l’ordre, ce qui les rend particulièrement attractifs pour les groupes criminels qui cherchent à passer inaperçus. Leur statut social et l’absence d’antécédents leur permettent de transporter des marchandises illicites, de blanchir de l’argent ou de servir d’intermédiaires, tout en suscitant peu de suspicion.

Les réseaux criminels utilisent également de plus en plus les réseaux sociaux pour recruter, ce qui leur permet de toucher un large public et d’attirer les femmes dans la criminalité organisée.

Il est essentiel de comprendre toutes les nuances du recrutement des femmes et des filles dans la criminalité organisée si l’on veut mettre en place des stratégies de prévention efficaces et ciblées.

Les femmes ont longtemps été perçues comme jouant des rôles secondaires dans la criminalité organisée. Peut-on dire que cette perception est aujourd’hui dépassée ?

Oui. Les données de l’OSCE démontrent que les femmes jouent un rôle actif dans la criminalité organisée, dans tous les types de marchés criminels et à tous les niveaux hiérarchiques. Elles sont impliquées et occupent des fonctions importantes depuis de nombreuses années.

Comme les hommes, les femmes dirigent, organisent et exécutent des activités criminelles. Selon les données de l’OSCE, au sommet des groupes criminels, les femmes prennent des décisions, concluent des alliances, supervisent les opérations, gèrent le blanchiment des profits illicites.

Quel est le profil type des femmes impliquées dans la criminalité organisée ? Observe-t-on des différences notables selon les régions du monde ?

Les femmes impliquées dans la criminalité organisée partagent souvent certaines caractéristiques et parcours d’entrée dans ces groupes. Par exemple, les liens familiaux jouent un rôle déterminant. Les femmes peuvent être entraînées dans ces réseaux par le biais de relations avec des partenaires ou des proches déjà impliqués dans des activités criminelles.

Il existe toutefois des variations régionales, qui soulignent l’influence des conditions socio-économiques locales, des normes culturelles et de la structure propre aux organisations criminelles sur le rôle des femmes au sein de ces groupes.

Quel est l’impact des inégalités économiques et sociales sur l’implication des femmes dans ces réseaux criminels ?

Nos recherches montrent que, tout comme les hommes, les femmes s’engagent souvent dans la criminalité organisée à cause d’inégalités socio-économiques, de la marginalisation, ou encore de l’influence de groupes de pairs déjà impliqués dans le crime. Certaines femmes y voient aussi une stratégie de survie pour échapper à la pauvreté ou subvenir aux besoins de leur famille.

À un niveau inférieur dans la hiérarchie criminelle, nos données indiquent que le recrutement des femmes et des filles est souvent lié à des violences sexuelles et psychologiques, à des abus et à de l’exploitation.

Toutefois, les données de l’OSCE montrent aussi que certaines femmes intègrent sciemment et volontairement des groupes criminels, même en l’absence de violences sexuelles ou psychologiques.

Elles sont attirées par la perspective de gains financiers, de pouvoir, de statut social et d’un sentiment d’appartenance. Nos données suggèrent que, comme les hommes, certaines femmes sont motivées par l’appât du gain et séduites par la promesse illusoire d’argent facile et d’un style de vie luxueux.

Donc les femmes occupent des postes de direction dans les organisations criminelles ?

Les femmes occupent des rôles de dirigeants dans les organisations criminelles. Elles ne sont pas limitées à des fonctions subalternes — elles sont présentes à tous les niveaux de la hiérarchie criminelle.

Notre étude à l’OSCE présente plusieurs cas de femmes en position de pouvoir. L’un des exemples les plus marquants est celui d’une femme membre de la ‘Ndrangheta calabraise, une branche de la mafia italienne. Elle agissait en tant qu’organisatrice, coordinatrice et dirigeante indépendante, respectée par les membres du groupe et redoutée par les habitants. Elle orchestrai​t des activités criminelles, gérait les fonds et ordonnait des actes d’extorsion violente. Elle a été condamnée à 17 ans et demi de prison pour son rôle de dirigeant.

Les réseaux criminels utilisent-ils les femmes et les hommes de manière différente, par exemple en fonction de préjugés sur leur prétendue discrétion ou dangerosité moindre ?

Les réseaux criminels exploitent souvent hommes et femmes de façon différenciée, en étant influencés par les stéréotypes de genre. Nos données montrent que les groupes criminels tirent parti de l’« invisibilité » des femmes vis-à-vis des forces de l’ordre, qu’ils considèrent comme un avantage stratégique pour commettre des délits et crimes.

Par exemple, au bas de l’échelle criminelle, nous avons identifié que les femmes sont utilisées pour transporter, dissimuler ou vendre de la drogue dans la rue, car elles semblent moins suspectes et sont moins susceptibles d’être identifiées par la police.

Nos recherches montrent également que les femmes jouent un rôle essentiel dans la transmission de la culture et des valeurs du groupe criminel, assurant ainsi sa continuité. De manière générale, l’étude n’a identifié aucune activité criminelle exclusivement réservée aux hommes — y compris les actes de violence.

Les femmes sont-elles plus exposées à la violence au sein des organisations criminelles, que ce soit de la part d’autres membres ou des autorités judiciaires ?

À un niveau inférieur dans la hiérarchie criminelle, les données de l’OSCE montrent que le recrutement des femmes et des filles est souvent lié à des violences sexuelles et émotionnelles, à des abus et à de l’exploitation. Par exemple, une base de données policière d’un État participant de l’OSCE ayant pris part à notre étude a révélé que la majorité des femmes auteures d’infractions liées au crime organisé avaient un passé familial ou conjugal marqué par des violences physiques et émotionnelles.

Cela a des conséquences importantes sur le chevauchement entre victimes et auteurs. Alors qu’on a tendance à opposer les deux catégories, les données de l’OSCE indiquent qu’il existe une forte corrélation entre la victimisation passée et la commission ultérieure d’actes au sein du crime organisé.

Toutes les victimes de la criminalité organisée ne deviennent pas des délinquantes, mais la majorité des délinquantes ont été auparavant des victimes. Cela est particulièrement vrai dans les cas de traite des êtres humains. Les femmes victimes de traite peuvent se retrouver impliquées dans la criminalité organisée, par exemple en recrutant de nouvelles victimes, comme moyen d’échapper à leur propre exploitation.

Il est donc essentiel de prendre en compte les expériences passées de femmes ayant été victime, pour pouvoir les accompagner efficacement, élaborer des stratégies de prévention pertinentes et prévenir les passages à l’acte criminel.

Dans quelle mesure les politiques de lutte contre la criminalité organisée prennent-elles en compte les spécificités de l’implication des femmes ?

Certains États participants ont intégré des considérations de genre dans leurs politiques de lutte contre la criminalité organisée. Par exemple, le Département des opérations nationales de la police suédoise a mené une étude approfondie sur l’implication des femmes dans la criminalité organisée.

Les résultats de cette étude ont alimenté des ateliers visant à sensibiliser au sein des arrondissements de police locaux les rôles joués par les femmes dans les réseaux criminels et à identifier les éventuelles « zones d’ombre » dans les pratiques policières actuelles. Dans le domaine de la traite des êtres humains, il y a une reconnaissance grandissante du fait que le crime organisé à un impact lié au genre, appelant des réponses sensibles au genre.

Toutefois, des lacunes persistent dans la pratique. Les initiatives de prévention et de sortie sont encore largement axées sur les garçons et les hommes, en raison de l’idée reçue selon laquelle la criminalité est un domaine essentiellement masculin.

Recommandez-vous des approches spécifiques pour prévenir l’implication des femmes dans ces réseaux ?

Notre rapport montre qu’une prévention efficace et inclusive nécessite une approche globale et sociétale, qui repose sur les piliers suivants :

  1. reconnaître le rôle que les femmes peuvent jouer — et jouent — dans la criminalité organisée ;
  2. éduquer et sensibiliser, notamment en permettant à des femmes de témoigner de leurs expériences réelles dans le milieu criminel ;
  3. promouvoir les compétences professionnelles et l’éducation financière ;
  4. engager une coopération multi-acteurs et une intervention précoce.

La première étape pour combler le manque de représentation des femmes dans les stratégies de prévention consiste à reconnaître leur rôle au sein des réseaux criminels. Ce n’est qu’en reconnaissant leur rôle qu’elles pourront être incluses dans les initiatives de prévention.

Deuxièmement, il est essentiel d’éduquer les femmes et les filles et de les sensibiliser aux réalités et aux dangers de la criminalité organisée, notamment à travers le partage de témoignages de femmes. Cela permet de briser l’image glamour du crime véhiculée dans la culture populaire et sur les réseaux sociaux, et de donner aux femmes les moyens de faire des choix éclairés et de résister aux sollicitations criminelles.

Troisièmement, le développement de compétences professionnelles et financières permet non seulement d’offrir des alternatives à la délinquance, mais aussi d’aider les femmes à mieux faire face aux difficultés économiques, favorisant ainsi l’autonomie et réduisant leur vulnérabilité à l’exploitation.

Enfin, la prévention doit impérativement reposer sur une stratégie d’intervention précoce et de collaboration entre plusieurs acteurs. Les forces de l’ordre, les services sociaux, les établissements scolaires, les autorités sanitaires et la société civile doivent travailler ensemble pour identifier les femmes et les filles à risque de recrutement. En repérant les signaux d’alerte à temps et en agissant de manière coordonnée, on peut offrir un soutien rapide et réduire considérablement leur vulnérabilité à la criminalité organisée.

La coopération internationale est essentielle dans la lutte contre la criminalité organisée. Comment mieux intégrer la dimension de genre dans ces initiatives internationales ?

Répondre à cette problématique nécessite des actions à la fois politiques et pratiques. Sur le plan politique, il est essentiel de sensibiliser à la place des femmes dans la criminalité organisée. Les stratégies de prévention et de sortie doivent être inclusives, visant à la fois les hommes et les femmes.

L’OSCE est à l’avant-garde de cet effort. Nous avons organisé des discussions de haut niveau lors de forums politiques majeurs, tels que la Commission des stupéfiants des Nations Unies et la Conférence des Parties à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. Ces événements mettent en lumière la nécessité de reconnaître le rôle des femmes dans le crime organisé et de les inclure dans les stratégies de prévention et de sortie.

Mais les politiques doivent aussi se traduire par des actions concrètes. Pour combattre les biais de genre et favoriser le partage d’expériences, l’OSCE a mené des séminaires régionaux avec des praticiens de terrain en Asie centrale, en Europe de l’Est et du Sud-Est. Ces sessions ont porté sur la remise en question des stéréotypes de genre dans le crime organisé, la sensibilisation aux facteurs de risque spécifiques pour les femmes, et la promotion de stratégies de prévention et de sortie sensibles au genre.

Quelles sont les principales difficultés que rencontrent les femmes lorsqu’elles tentent de quitter ces réseaux criminels ?

Les stéréotypes de genre persistants font que les initiatives de sortie et de protection des témoins s’adressent presque exclusivement aux hommes. L’étude de l’OSCE montre que les femmes inclus dans des programmes de protection des témoins y sont généralement en tant qu’épouses ou compagnes de membres masculins de groupes criminels, et non en tant que membre à part entière.

Cela révèle une lacune importante : les femmes impliquées dans le crime organisé ne se voient pas offrir les mêmes opportunités de sortie que les hommes dans l’ensemble de la zone OSCE.

Existe-t-il des programmes spécifiques de réhabilitation et de réintégration pour les femmes ayant un passé criminel ? Quels sont les obstacles à leur mise en œuvre ?

En théorie, les initiatives de sortie et de protection des témoins sont ouvertes aux hommes comme aux femmes dans l’ensemble de la zone OSCE. Mais en pratique, elles ciblent et incluent majoritairement les hommes. Le principal obstacle à une mise en œuvre inclusive est le manque de reconnaissance du rôle des femmes dans la criminalité organisée.

Un défi majeur reste aussi l’adaptation des programmes de protection des témoins aux responsabilités familiales des femmes, notamment en leur permettant d’emmener leurs enfants avec elles lorsqu’elles entrent dans le dispositif de protection.

Comment mieux protéger les femmes qui cherchent à quitter ces réseaux criminels sans risquer de représailles ?

Les femmes peuvent être mieux protégées dans les programmes de sortie et de protection des témoins si on leur fournit une nouvelle identité, un logement sécurisé et la possibilité de témoigner sous cette nouvelle identité. Ces programmes devraient également inclure une aide financière, une formation professionnelle et un soutien essentiel pour leurs enfants.

En répondant aux besoins spécifiques des femmes, notamment en garantissant la sécurité de leur famille et en leur offrant les moyens d'acquérir une autonomie économique, ces initiatives peuvent les aider à reconstruire leur vie et à sortir du cycle de l’exploitation.

Pensez-vous que l’implication des femmes dans ces activités pourrait être réduite si elles disposaient de meilleures alternatives économiques et sociales ?

Dans notre étude, nous avons évalué l’impact des compétences professionnelles et de l’éducation financière sur la prévention. Nous avons identifié que ces outils sont efficaces pour renforcer la résilience des femmes face à l’exploitation. Ils offrent non seulement des alternatives à la criminalité, mais permettent aussi aux femmes de mieux gérer les défis économiques, favorisant leur autonomie et réduisant leur vulnérabilité à l’exploitation.

Les femmes sont-elles davantage représentées parmi les victimes de traite ou de trafic, et pourquoi ?

Les femmes auteures sont surreprésentées dans les affaires de traite des êtres humains par rapport à d'autres types de criminalité. Les données de l’OSCE indiquent que cela est souvent lié au chevauchement entre victimes et auteures, lorsque des femmes ayant été victimes de traite se tournent vers des actes criminels pour échapper à leur propre exploitation. Dans de tels cas, il est crucial d’appliquer le principe de non-sanction, reconnaissant que leurs actes criminels sont une conséquence directe de l’exploitation et des abus subis.

Est-il facile d’obtenir des données ?

Le manque de recherches dans ce domaine s'explique en partie par l'absence de données pertinentes et fiables dans de nombreux pays. L'un des principaux défis est que peu de chercheurs ou d'institutions s'intéressent au rôle des femmes dans la criminalité organisée, ce qui fait que les données ne sont souvent pas collectées. Leurs rôles restent donc largement méconnus et mal compris.

Même lorsque des données désagrégées par sexe existent, elles peuvent renforcer les stéréotypes — par exemple en ne reconnaissant pas les femmes comme auteures ou les hommes comme victimes. Pour combler cette lacune, l’étude de l’OSCE a collecté des données dans 14 pays, rassemblant statistiques, perceptions et études de cas auprès de professionnels de la justice pénale et de la société civile sur le rôle des femmes dans la criminalité organisée.

Promouvoir la collecte de données sensibles au genre et des études approfondies aux niveaux national, régional et international est essentiel pour comprendre l’implication des femmes dans la criminalité organisée et les facteurs de risque associés à leur recrutement.

Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux décideurs pour améliorer l’inclusion des femmes dans la lutte contre la criminalité organisée ?

Il est crucial de reconnaître à la fois la victimisation des femmes, ainsi que leur rôle et implication active dans la criminalité organisée. Ne pas reconnaître les rôles des femmes dans ce domaine peut avoir des conséquences graves :

  1. Les femmes peuvent agir en toute impunité, leur implication étant souvent occultée ou sous-estimée.
  2. On ne parvient pas à comprendre l’ampleur réelle de la criminalité organisée ni tous ses acteurs, ce qui nuit à l’efficacité des efforts de lutte.
  3. Les femmes restent exclues des initiatives de prévention et de sortie, sans accès à un soutien adapté à leurs besoins et à leurs expériences spécifiques.

Reconnaître la pluralité des rôles joués par les femmes dans la criminalité organisée est essentiel pour élaborer des stratégies plus complètes et efficaces contre ce phénomène.

Enfin, y a-t-il un aspect de cette problématique que vous souhaiteriez particulièrement mettre en avant et qui est souvent négligé dans le débat public ?

Les données de l’OSCE révèlent des tendances inquiétantes concernant la criminalité organisée et le trafic de drogue : les groupes criminels cherchent de plus en plus à impliquer des femmes et des filles dans des activités liées à la drogue, car elles paraissent moins suspectes au regard du système judiciaire pénal.

Le manque d’attention portée à l’implication des femmes et des filles dans la criminalité organisée les exclut largement des efforts de prévention, encore trop centrés sur les hommes et les garçons.

Cela plaide fortement en faveur d’un changement des biais de genre et d’une prévention plus inclusive, visant, soutenant et impliquant activement les femmes comme les hommes.

L’OSCE apporte son expertise sur cette question cruciale en favorisant les échanges et l’apprentissage mutuel entre régions.

Deux exemples concrets :

  1. L’OSCE a récemment mené une formation régionale avec des praticiens de terrain d’Europe du Sud-Est et de l’Est pour renforcer leur capacité à identifier et accompagner les femmes et filles à risque de recrutement dans la criminalité organisée, tout en renforçant la coopération régionale.
  2. Nous collaborons également avec des professionnels de la justice pénale et des représentants de la société civile en Europe du Sud-Est pour prévenir la violence basée sur le genre, via une approche d’intervention précoce et interinstitutionnelle. La violence domestique est un facteur clé de vulnérabilité, rendant les femmes et les filles plus susceptibles d’être recrutées par des groupes criminels. En traitant cette question, les efforts de l’OSCE contribuent également à renforcer la résilience face à l’exploitation criminelle.

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