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La mobilisation anti-corruption actuelle, qui secoue la Serbie, est un événement majeur, un modèle de résistance populaire contre la corruption et un test pour la démocratie dans la région. Pourtant, elle est largement ignorée par les médias et les institutions européennes, ce qui laisse les manifestants sans soutien extérieur alors qu’ils luttent pour des valeurs de l’Europe. Stevan Dojčinović, journaliste d’investigation serbe reconnu pour son travail sur la corruption et la criminalité organisée en Serbie, reporter au média KRIK et collaborateur du réseau OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project), décrypte l’origine et les enjeux des récentes manifestations.
L'effondrement de l’auvent de la gare de Novi Sad a marqué le point de départ d’une mobilisation sans précédent. Quelles sont les principales revendications des manifestants ?
Ce qui se passe en Serbie est un processus. La mobilisation a débuté il y a plusieurs mois, et ce mouvement ne s’arrêtera pas. Il prend de l'ampleur, notamment maintenant qu'il a été confirmé que de nouveaux groupes s’y joignent. Au départ, il s'agissait surtout d'étudiants et de syndicats, mais désormais, de nombreuses autres catégories sociales du pays y participent à cause de la corruption. C’est le point central de cette protestation.
Il est possible que l’on comprenne ce mouvement en regardant ce qui s’est passé ailleurs, comme en Géorgie, mais la différence ici, c’est que ce mouvement en Serbie est complètement organique. Il ne s’agit pas d’une opposition politique structurée. Tout a commencé lorsqu'une partie d'un bâtiment récemment reconstruit s'est effondrée, tuant deux personnes, dont des enfants. Cet événement a profondément choqué l'opinion publique, car beaucoup pensent que la corruption a joué un rôle clé : des fonds ont été détournés par des responsables pour leur profit personnel, au détriment de la qualité des travaux publics.
De nombreux projets financés par l'État sont réalisés avec des matériaux de mauvaise qualité et par des travailleurs non qualifiés, ce qui mène à des effondrements et des catastrophes. Cet événement tragique a été suivi par un autre drame, lorsqu'un incendie a ravagé une maison de retraite, causant la mort de plusieurs personnes âgées. Ce type d’incident n’est pas surprenant, car la corruption gangrène tous les secteurs du pays. Les revendications des manifestants concernent principalement l'État de droit. Les étudiants demandent que les responsables soient jugés et exigent une enquête complète et transparente.
Pensez-vous que sans cet événement, la colère populaire aurait atteint un tel niveau ? Y avait-il déjà des signes annonciateurs d’un soulèvement ?
Il y avait déjà des signes avant-coureurs d’une révolte avant la catastrophe, notamment lorsqu’un ministre a ordonné une modification de l’itinéraire d’un hélicoptère pour des raisons de sécurité, ce qui a conduit à un autre accident. Contrairement à d'autres pays, où des structures s’effondrent parfois sans faire de victimes, en Serbie, les accidents sont mortels et les responsables continuent à agir en toute impunité. L'accumulation de ces tragédies révèle l’effondrement du système. C’est la raison pour laquelle les étudiants demandent le changement de système, et pas simplement de président.
Dans les Balkans, les initiatives anti-corruption et les solutions institutionnelles ont généralement été mises en œuvre de manière descendante, sur la base de modèles recommandés par les acteurs internationaux et approuvés à la hâte par un cercle d'alliés politiques locaux. Rares sont les initiatives de la base. Pourquoi selon vous ?
Ce mouvement est particulier parce qu’il est né d’une initiative populaire. Ici, la protestation est purement issue de la population. Mais ce n’est pas rare, c’est simplement la conséquence d’un ras-le-bol. Et c'est pour cela que cela dérange autant les autorités.
Depuis plus de 10 ans, il y a eu de nombreuses manifestations contre la privatisation des services publics, mais cette fois-ci, toutes ces colères se sont combinées en un mouvement massif. Les gens sont profondément en colère face à la corruption omniprésente car elle augmente.
Les nouvelles technologies ont-elles influencé la dynamique du mouvement par rapport aux précédentes mobilisations en Serbie ?
Les nouvelles technologies influencent clairement la dynamique du mouvement, mais elles sont aussi utilisées par le gouvernement pour réprimer la contestation ou pour désinformer et intimider les opposants. Les autorités emploient des techniques de surveillance avancées, espionnent les téléphones des manifestants et des journalistes pour savoir ce qu’ils font, Les nouvelles technologies nous aident à effectuer notre travail mais aident aussi le gouvernement.
Avez-vous remarqué une évolution dans la manière dont le public serbe perçoit le journalisme d’investigation ?
La population soutient de plus en plus le journalisme d’investigation, qui a exposé la corruption au fil des années. Mais nous faisons ce travail depuis des années, nous enquêtons sur la corruption et la criminalité organisée. Ce type de journalisme n'a pas accès aux médias traditionnels, qui sont contrôlés par le gouvernement. Mais nous ne sommes pas les acteurs principaux de ce mouvement, qui sont les étudiants.
Mais nous voyons une division. Les médias officiels diabolisent les journalistes indépendants en les présentant comme des traîtres ou des mercenaires car le gouvernement contrôle ces médias. Il n’existe pas de contradiction. Donc la moitié de la population en Serbie croit que nous sommes les « méchants ». Dans les zones rurales, les personnes âgées, qui s’informent principalement via ces médias d’État, sont particulièrement sensibles à cette propagande. Mais les manifestations et la diffusion d’informations alternatives commencent à éveiller les consciences.
La propagande Russe, vous sentez qu’elle se fait plus fort ?
La propagande russe est forte en Serbie, mais elle ne nécessite même pas d’investissement massif de sa part. Les médias traditionnels locaux diffusent déjà naturellement une ligne pro-russe, atteignant des millions de personnes. En Serbie, la Russie a une propagande gratuite.
Existe-t-il un lien entre répression de la protestation et criminalité organisée ?
Cela fait des années que nous couvrons la présence de la criminalité organisée dans le pays. Par ailleurs, il existe des liens étroits entre le crime organisé, le gouvernement et les médias dominants. Dès les premières manifestations, des groupes criminels liés au pouvoir ont été envoyés pour attaquer physiquement les manifestants. Non seulement le gouvernement contrôle la police, mais aussi les gangsters des rues. Toutefois, le gouvernement a rapidement changé de stratégie en évitant d’intervenir directement, car la répression brutale a souvent eu l’effet inverse, en mobilisant encore plus de personnes dans la rue.
Pensez-vous que celle mobilisation inspire déjà ailleurs dans les Balkans ? Avez-vous observé des signes de solidarité ou d’inspiration dans d’autres pays voisins ?
D’autres pays des Balkans observent de près ce qui se passe en Serbie, en particulier au Monténégro, où des mouvements similaires existent. La corruption est un problème commun à de nombreux pays de la région, même si la situation en Serbie est l’un des cas les plus extrêmes.
Ce qui rend ce mouvement unique, en plus de la taille des manifestations, c’est son organisation démocratique : il n’y a pas de leader unique. Chaque jour, les étudiants se réunissent pour décider collectivement des actions à mener. C’est un modèle rare, qui pourrait inspirer d’autres luttes ailleurs. Cependant, il reste étonnant de voir à quel point la mobilisation est ignorée dans les médias européens, comparé par exemple au mouvement en Géorgie. Il n’y a pas d’intervention russe, donc l’Europe ne semble pas avoir l’impression que ça les concerne. Et pourtant, cette corruption globale concernera tout le monde, et ce qu’il se passe en Serbie pourra être un modèle.
L’UE suit de près la situation politique en Serbie. Quelle a été la réaction des institutions européennes face à cette crise ? Pensez-vous que cela pourrait influencer les négociations d’adhésion de la Serbie à l’UE ?
L’adhésion de la Serbie à l’Union européenne semble aujourd’hui hors de portée. Autrefois, plus de 80 % des Serbes soutenaient l’intégration européenne, mais aujourd’hui, ce chiffre est tombé sous les 40 %.
L’UE n’a jamais réellement soutenu les protestations démocratiques en Serbie. Elle publie des déclarations vagues sans véritablement condamner les abus du gouvernement. L’Union européenne préfère souvent avoir des dirigeants autoritaires mais prévisibles avec qui négocier, plutôt que de soutenir des mouvements populaires qui pourraient renverser l’ordre établi. Elle donne l’impression de ne parler que de business.
Le président serbe profite de cette position ambiguë : il joue à la fois avec l’Europe et avec la Russie, sans jamais s’engager réellement. Il aime cette situation, car elle lui permet d’éviter toute responsabilité.
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