Jeux vidéo : un nouveau champ de bataille
Longtemps considéré comme un simple divertissement, le jeu vidéo est aujourd’hui au cœur de nombreuses stratégies militaires, économiques et
Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), adopté en 1977, est l’un des piliers de la lutte contre la corruption à l’échelle mondiale. Mais par un décret présidentiel du 10 février, Donald Trump a ordonné au Département de la justice (DOJ) de suspendre sa mise en œuvre. Richard E. Messick, consultant et expert en gouvernance, ancien conseiller à la Banque mondiale et spécialiste des questions de corruption, reconnaît que certaines entreprises pourraient bénéficier d’une moindre régulation et souligne aussi les risques potentiels, notamment en termes de réputation des entreprises américaines. Mais selon lui, l’équilibre économique global et la crédibilité des États-Unis en tant qu’acteur engagé pour des affaires plus éthiques ne reposent pas seulement sur des lubies politiques ponctuelles.
Le FCPA a été un outil clé dans la lutte contre la corruption au niveau international. Son retrait pourrait-il conduire à une résurgence des pratiques de corruption ?
Il est difficile de savoir. Je pense que le plus grand risque est que d'autres pays se disent : « Oh, les États-Unis ne s'en préoccupent plus, alors nous non plus. » Mais j’ai tendance à penser qu’il y a une structure suffisamment solide intégrée dans le système américain. Par cela, je veux dire que les entreprises ont mis en place des programmes de conformité pour éviter des poursuites en vertu du FCPA [Foreign Corrupt Practices Act]. Elles emploient aujourd’hui de nombreuses personnes dans ces programmes de conformité, et elles ne vont pas les licencier du jour au lendemain. De plus, elles disposent de nombreux avocats qui gagnent beaucoup d'argent en leur prodiguant des conseils sur les questions de conformité.
Ces avocats, d’ailleurs, je peux en témoigner d’après ma propre expérience dans l’achat d’entreprises, se préoccupent non seulement du FCPA, mais aussi des législations en vigueur dans tous les pays où ces entreprises opèrent, car c'est une simple question de prudence. J’ai donc du mal à imaginer que des entreprises visibles et de grande envergure décident soudainement d’ignorer ces lois. Bien sûr, il existe de nombreuses entreprises au-delà des géants comme Apple ou Exxon, et certaines d'entre elles pourraient être tentées de prendre des risques qu'elles ne prenaient pas auparavant, notamment sur des questions marginales, comme accélérer l'approvisionnement en marchandises.
Je parle ici uniquement des entreprises soumises aux lois américaines, mais il ne faut pas oublier qu’il y a aussi des entreprises étrangères soumises au FCPA parce qu'elles lèvent des capitaux aux États-Unis ou y ont des opérations. Pour ces dernières, il est plus difficile de savoir comment elles réagiront.
Pensez-vous que d'autres entreprises pourraient suivre l'exemple américain et assouplir leurs propres lois anti-corruption ?
Bien sûr, il y a des entreprises de pays qui ne se soucient pas beaucoup de ces réglementations. Prenons l’exemple du scandale de la dette cachée au Mozambique, où des pots-de-vin ont été versés pour obtenir la garantie du gouvernement sur des prêts pour des projets sans valeur. L’un des cerveaux de cette affaire a été arrêté alors qu’il était en vacances en République dominicaine, non pas parce qu’il était aux États-Unis. Lors de son procès, son avocat a plaidé qu’il n’avait rien à voir avec les États-Unis et que cela ne relevait pas de leur juridiction. Il a déclaré : « Je n’ai jamais mis les pieds aux États-Unis. Je n’ai jamais envoyé de mail là-bas, ni passé d’appel téléphonique. J’évite tout contact avec les États-Unis. »
Ce genre d'entreprises existe et continuera d'exister. Le FCPA n'a pas eu beaucoup d'effet sur elles. Cela montre les limites du système, notamment pour celles qui ont des activités aux États-Unis, mais peuvent éviter des poursuites. Quant aux petites entreprises américaines plus douteuses, c'est plus incertain.
Un retrait pourrait-il entraîner des conflits entre les États-Unis et d’autres pays qui maintiennent des lois anti-corruption strictes ?
Un des aspects positifs, c’est que certains pays, notamment la France, semblent prendre ces questions plus au sérieux. D'après mes observations limitées, la France a intensifié ses contrôles sur les entreprises françaises pour s’assurer que leurs programmes de conformité fonctionnent. Il serait intéressant de voir si d’autres pays comme l’Allemagne ou le Royaume-Uni vont suivre le mouvement pour combler le vide laissé par un éventuel relâchement des États-Unis. Ces agences européennes peuvent cibler des entreprises qui resteraient hors de portée même avec une application rigoureuse du FCPA.
Mais la réalité, c'est qu'on ne sait pas vraiment comment influencer le comportement des entreprises. Après tout, leur comportement est le résultat d’une combinaison d’incitations et de motivations différentes de la part d’individus situés à divers niveaux. J'espère simplement que les pressions internationales et les nouvelles normes de conformité auront un impact.
Concernant l’Italie, il semble qu'elle suive l'exemple américain dans l’application des lois anti-corruption, mais il est difficile de savoir si cela tiendra sur le long terme. Il y a par exemple une affaire impliquant deux procureurs italiens poursuivis pour avoir trop rigoureusement appliqué les lois sur la corruption. Ils se sont attaqués à l’une des entreprises les plus puissantes du pays, et il est possible que leur cas soit une exception plutôt qu’une nouvelle tendance.
Quels seraient, selon vous, les effets directs et indirects du retrait du FCPA sur l'économie américaine ?
Quant à l'impact de tout cela sur l'économie américaine, il est difficile à mesurer. Avant l’application stricte du FCPA dans les années 2000, combien de pots-de-vin étaient payés ? Combien d’entreprises ont perdu des contrats depuis à cause du respect du FCPA ? Ce sont des questions factuelles, mais nous manquons de données. Certaines entreprises affirment que le FCPA les désavantage face à des concurrents étrangers moins réglementés.
Certaines entreprises affirment que le FCPA les désavantage par rapport à des concurrents étrangers moins réglementés. Un tel retrait pourrait-il réellement améliorer leur compétitivité ou risquerait-il d'affaiblir la confiance des investisseurs ?
D’ailleurs, cette inquiétude a été un des moteurs de la Convention anti-corruption de l'OCDE. Ce traité a été poussé par l’administration Carter dans les années 70, après que les entreprises américaines ont protesté contre leur désavantage concurrentiel dû à l’interdiction des pots-de-vin. L’OCDE a proposé un traité, et les États-Unis ont financé des experts pour convaincre d’autres pays d’harmoniser leurs lois.
Si le FCPA venait à être affaibli, cela pourrait fragiliser les autres initiatives internationales de lutte contre la corruption, notamment dans les petits pays qui n’ont pas beaucoup de moyens. Cependant, aujourd’hui, la perception de la corruption a changé, et les générations récentes ont été élevées avec l'idée que les pots-de-vin sont un problème.
Vous voulez dire qu'on ne peut plus se permettre les mêmes choses ? Comment un tel retrait affecterait-il la perception des entreprises américaines à l'international ?
Quant à l’image des entreprises américaines, un affaiblissement du FCPA pourrait leur nuire. Certains gouvernements, soucieux de leur réputation, pourraient préférer traiter avec des concurrents non américains pour éviter la mauvaise presse.
Les secteurs les plus risqués en matière de corruption restent la construction et la défense. Une lueur d'espoir réside dans le fait que de plus en plus d’entreprises lésées par la corruption intentent des poursuites pour obtenir des compensations, ce qui pourrait dissuader certaines pratiques.
Mais qui tirerait avantage d’un affaiblissement du FCPA ?
Ce n’est pas une revendication des entreprises elles-mêmes. Lors de la première présidence de Trump, il avait discuté avec Rex Tillerson (ex-PDG d'Exxon) pour tenter d’abolir le FCPA, mais Tillerson avait résisté en expliquant que cela n’entravait pas les affaires. Il s’agit donc davantage d’une lubie de Trump, influencée par son passé dans l’immobilier à New York, un secteur où les pratiques douteuses ne sont pas rares.
Trump ne peut pas abolir le FCPA par décret. Il doit passer par le Congrès, ou bien orienter les priorités du ministère de la Justice en limitant son application. C'est comme aux Pays-Bas où la consommation de marijuana reste techniquement illégale, mais où le parquet a décidé de ne pas faire respecter la loi.
La disparition du FCPA pourrait-elle affaiblir d'autres mécanismes internationaux de lutte contre la corruption, comme la Convention anti-corruption de l'OCDE ?
D’autres lois contre la corruption existent, notamment grâce aux conventions de l’ONU et de l’OCDE, mais leur mise en application dépend des volontés politiques. La meilleure réponse de la société civile serait d’accroître sa vigilance et de faire pression sur les institutions.
D’ailleurs, un argument souvent oublié est que le FCPA rapporte énormément d'argent aux États-Unis (voir graphique). Les amendes collectées surpassent largement les coûts de mise en application. C'est une critique fréquente des pays européens, qui voient dans ces poursuites une manière pour les États-Unis d’extorquer des fonds aux entreprises étrangères.
Nombre de mesures d'application de la FCPA initiées par le DOJ et la SEC, les deux organismes chargés de l'application de la loi, au cours des 10 dernières années (rapport du cabinet d'avocats américain Gibson Dunn). (Le graphique montre le montant des amendes perçues par le gouvernement américain, le ministère de la Justice et la SEC, de 2008 à début 2021. Une manne financière, bien plus que les salaires et autres dépenses engagées pour poursuivre les affaires.)
Comment les institutions internationales (Banque mondiale, FMI, OCDE) réagiraient-elles à un tel changement ?
Enfin, la question est de savoir si les institutions internationales vont réagir à un éventuel relâchement américain sur la corruption. L'OCDE pourrait ouvrir une enquête sur les États-Unis, mais il est incertain que cela ait un réel impact.
Dans l’ensemble, la politique de Trump sur ce sujet semble plus motivée par ses propres expériences et préjugés que par une véritable demande du monde des affaires. Et sur le plan politique, il est difficile de savoir ce que l’avenir réserve.
L'actualité de la corruption et criminalité organisée chaque semaine