Lobbying : rééquilibrer le rapport de force pour une influence plus juste

Lobbying : rééquilibrer le rapport de force pour une influence plus juste
Photo by Elijah Macleod / Unsplash

Si le lobbying est un outil d’influence incontournable dans la fabrique de la loi, il reste marqué par une inégalité criante : les ressources à disposition des grands acteurs économiques, corporations ou géant de la tech dépassent largement celles des associations ou plus petits cabinets de conseil. Comment rééquilibrer ce rapport de force ? C’est le combat de Jordan Allouche, fondateur d’Écolobby. Ancien consultant en affaires publiques, il a choisi de mettre son expertise au service de la transition écologique, convaincu que l’influence peut aussi être un levier au bénéfice de l’intérêt général. Dans cet entretien, il décrypte les rouages du lobbying, ses dérives et les moyens de le rendre plus transparent et équitable.

Un nouveau scandale de corruption éclabousse le Parlement européen. Que révèle-t-il, selon vous, sur le fonctionnement actuel du lobbying ?

Le scandale révèle plusieurs choses. La première, c'est une accélération de l’intérêt pour les actions de lobbying et les affaires publiques, notamment pour les grands lobbys. On constate en particulier l'implication des acteurs de la tech. On sait que les dépenses en affaires publiques et en lobbying, aussi bien au niveau européen qu’au niveau national, augmentent chaque année d’environ 13 à 20 %. Cela s'explique par une attractivité croissante des activités de lobbying. Cela montre à quel point ces activités sont de plus en plus stratégiques pour les grands lobbys industriels. La raison en est simple : ces acteurs comprennent que, pour défendre leur modèle économique, ils doivent influencer la loi et le cadre réglementaire. C'est pourquoi les plus gros industriels investissent massivement dans ce domaine.

Deuxièmement, cela met en évidence l'existence de contre-pouvoirs et de lanceurs d’alerte, ce qui est un signe positif du bon fonctionnement de nos institutions. Si ces scandales existent – comme cela a été le cas avec le "Qatargate" –, c’est parce qu’il existe des mécanismes qui permettent de les révéler. Cela souligne l’importance de l’encadrement du lobbying et de la transparence.

Enfin, le troisième point essentiel est la nécessité d’aller encore plus loin dans l’encadrement, la transparence et le contrôle des activités de lobbying. Dans le cadre de cette affaire, c’est bien un lobby, en l’occurrence Huawei, qui est mis en cause. Il existe des soupçons sur certains individus ayant une position floue à la frontière entre lobbying et corruption. Il faut donc continuer à mettre en place des garde-fous pour éviter tout risque de dérive.

Il est dit que si on a découvert le scandale qui impliquerait Huawei aujourd’hui, c'est grâce aux changements opérés après le Qatargate ?

Quant à l’idée que l’affaire Huawei aurait été révélée grâce aux leçons tirées du Qatargate, je suis d’accord. Bien que je ne sois pas dans l’intimité du dossier, j’ai découvert ces informations dans la presse, comme beaucoup d'autres. Il faudra attendre les conclusions de l’enquête menée par les services de police belges. Mais c’est globalement une bonne nouvelle, car cela montre que nous commençons à tirer des enseignements des scandales passés et que les choses évoluent dans le bon sens.

Quelle est la différence entre le lobbying tel qu’il est pratiqué par des groupes d’intérêts publics et celui des grandes industries ?

Il existe deux différences majeures. D'abord, la nature des intérêts en jeu : je défends des intérêts écologiques, représentés par des associations environnementales, tandis qu’en face, ce sont généralement des intérêts économiques et industriels. Ensuite, il y a une différence considérable en termes de moyens. Les ressources humaines, financières et techniques dont disposent les lobbys industriels sont sans commune mesure avec celles des associations écologistes. Il existe un véritable déséquilibre : les montants investis par ces grands groupes sont environ 100 fois supérieurs à ceux mobilisés par les ONG.

Cela a des conséquences, car lorsqu'un lobby écologiste essaie d’agir, il fait face à des industriels qui disposent d’une armée d’experts en lobbying, de cabinets spécialisés et de juristes parfaitement rodés à la rédaction des textes de loi. Cette distorsion de concurrence rend le combat très difficile.

Pour quelqu’un qui ne connaît rien au lobbying, il peut être compliqué de peser face aux lobbys industriels. Moi, j’ai une position particulière, car j’ai travaillé dans un cabinet de lobbying avant de m’engager dans le domaine écologique. J’ai donc acquis un savoir-faire, des outils et des logiciels que je mets aujourd’hui à disposition des associations environnementales. Contrairement à un citoyen ordinaire, je connais la fabrique de la loi et les moyens de surveiller les amendements ou d’exercer une influence.

Cependant, tout le monde peut y accéder à condition d’être formé et sensibilisé au fonctionnement du système législatif. Par exemple, il est tout à fait possible d’envoyer des courriels aux députés pour faire valoir un point de vue, car leurs adresses sont accessibles. La difficulté réside dans le coût d’entrée : il faut connaître l’écosystème. Une fois cette barrière franchie, tout le monde peut s’impliquer.

Sur la question des garde-fous, plusieurs initiatives ont été mises en place. Je me souviens qu’après le Qatargate, certains députés européens avaient proposé d’instaurer des badges et des restrictions d’accès. Mais est-ce que cela constitue vraiment une barrière efficace contre le lobbying et la corruption ?

Nous sommes encore loin d’un encadrement idéal en France. L’encadrement du lobbying date seulement de 2016 et reste incomplet. Il existe un registre de transparence, mais les déclarations y sont trop vagues pour fournir des informations précises sur les actions des lobbies. De plus, ces déclarations ne sont obligatoires qu’une fois par an et trois mois après la clôture des bilans comptables, ce qui empêche toute transparence en temps réel.

Au niveau européen, il existe une obligation pour les parlementaires de déclarer les acteurs qu’ils rencontrent, mais en France, cela ne concerne que les représentants d’intérêts. Il faudrait étendre cette obligation aux élus et aux fonctionnaires.

Est-ce que le répertoire des représentants d’intérêts, dans lequel ils doivent communiquer des informations sur leur organisation, leurs actions de lobbying et les moyens qui y sont consacrés, a une utilité selon vous ?

Quant à la question de savoir si une liste des représentants d’intérêts a un sens, oui, bien sûr. Toute mesure qui améliore la transparence et encadre le lobbying va dans le bon sens. Bien sûr, cela ne supprimera jamais complètement la corruption, mais ces dispositifs permettent de limiter les abus. À partir du moment où les élus doivent déclarer leurs rencontres, il devient plus difficile pour eux de justifier des contacts très répétés avec un même lobby.

Il faut aussi faire la distinction entre lobbying et corruption. Le lobbying est une activité d’influence et de négociation, alors que la corruption implique une contrainte exercée sur le décideur politique. Ce sont deux choses totalement différentes.

On note une augmentation significative des représentants d'intérêts, qui deviennent de plus en plus nombreux. Quels problèmes cela pose ?

Je pense que c’est une bonne chose. Cela montre que le cadre législatif fonctionne et que la loi se diffuse dans la société. Plus il y a de représentants, plus les intérêts sont variés et mieux la décision politique est éclairée. Toutefois, le problème reste l’inégalité des moyens. 

Un des problèmes des lobbies aussi est qu’ils fournissent beaucoup de travail… le fameux copié collé de rapport par les parlementaires. On s’éloigne de la vision qu’on a de la corruption. Pensez-vous qu’une meilleure utilisation des ressources du parlement aiderait ?

Il est vrai que les cabinets de lobbying fournissent énormément de travail aux parlementaires. Un sociologue, Guillaume Oury, a étudié ce phénomène et montré que de nombreux amendements déposés en commission sont directement copiés-collés des propositions de lobbies. Ce n’est pas forcément de la corruption, mais plutôt un problème d’influence. Les parlementaires, souvent débordés et contraints de se positionner sur tous les sujets, qu’ils ne connaissent pas toujours parfaitement, et s’appuient sur ces propositions pré-rédigées, notamment celles issues des grands groupes bien organisés.

Pour limiter ce phénomène, il faudrait doter les parlementaires de plus de moyens. Bien que cela soit impopulaire, mieux les payer et leur fournir davantage de ressources réduirait leur dépendance aux lobbies industriels.

La société civile, qui se sent parfois impuissante, est concernée aussi par le lobbying ?

Le lobbying devrait être perçu comme un outil démocratique plutôt qu’un instrument opaque. Il permet à chacun d’être écouté et de faire entendre sa voix auprès des décideurs. Tout le monde peut être lobbyiste : qu’il s’agisse d’un citoyen militant pour une classe verte dans son école ou d’une ONG plaidant pour une meilleure protection de l’environnement. L’important est de démystifier cette pratique et de montrer qu’elle peut être un levier pour la démocratie.

Articles | Corporate Europe Observatory
LobbyControl - Initiative für Transparenz und Demokratie
LobbyControl klärt auf über Lobbyismus, Machtstrukturen und Einflussstrategien. Wir setzen uns ein für Lobbytransparenz, demokratische Kontrolle und für klare Lobbyisten-Schranken in Politik und Gesellschaft.

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