Quand la perception du crime juvénile dépasse la réalité

Quand la perception du crime juvénile dépasse la réalité
Photo by Micaela Parente / Unsplash

Si l’insécurité semble omniprésente dans les discours médiatiques, les données disent parfois autre chose. En Italie, la criminalité des jeunes n’a pas connu d’augmentation significative, bien que certains délits violents soient en hausse. Cosimo Sidoti, doctorant en criminologie à l’University of Kent, décrypte cette divergence entre perception et réalité. Il analyse l’impact des médias, des réseaux sociaux et de la culture musicale dans la construction d’une image exagérée du phénomène, tout en mettant en lumière les véritables transformations de la délinquance juvénile.

Quels sont les principaux changements que vous avez identifiés (entre les deux périodes d’étude) concernant les comportements des jeunes impliqués dans des activités criminelles ?

Oui, en effet. Surtout en Italie, et particulièrement à Milan, cela donne une forte impression d’insécurité et de peur. On a donc supposé que la criminalité augmentait. Mais ce qui est intéressant, c’est que les données montrent que ce n’était pas le cas. Nous avons voulu approfondir cette question pour savoir si cette perception correspondait à une véritable augmentation ou si d’autres facteurs étaient en jeu.

La découverte la plus intéressante de notre recherche, qui s’est étalée sur cinq ans, est que le type de criminalité a changé. Nous avons constaté une augmentation des crimes et des actes criminels violents sur de courtes périodes.

Un autre facteur important, qui a peut-être augmenté la perception d’insécurité, est que le lieu où ces crimes sont commis a changé. Ils ont tendance à se produire davantage dans les centres-villes qu’en périphérie. Cela n’a pas émergé directement dans notre étude, mais cela me semble être un élément pertinent.

Donc vous refusez l’idée qu’il y a une augmentation de délinquance ?

Les statistiques ne le montrent pas. Si l’on regarde les crimes violents, il y a effectivement une hausse. Cependant, il n’y a pas de véritable augmentation significative de la délinquance en général, en particulier chez les jeunes. Cela dépend bien sûr des pays, mais en Italie, et plus spécifiquement à Milan, cette hausse n’est pas constatée à l’échelle nationale.

Quels sont aujourd’hui les facteurs qui poussent les jeunes à rejoindre le crime organisé ? Votre rapport parle d’un changement à la fois quantitatif et qualitatif, pouvez-vous nous en dire plus ?

Ce que nous avons observé, notamment en Italie, c’est que le phénomène des "baby gangs" a été largement exagéré par les médias. Nous n’avons pas vraiment constaté une affiliation massive à des gangs organisés. Il s’agissait plutôt de petits groupes de jeunes qui commettaient des crimes, mais sans réelle structure organisationnelle derrière.

Les crimes étaient souvent de nature opportuniste, comme des vols et des cambriolages. L’un des facteurs majeurs qui attirent ces jeunes est le consumérisme et l’appât de l’argent facile. Cela est particulièrement vrai pour les communautés marginalisées.

La forte valorisation du luxe, de l’argent, joue un rôle important ?

Oui mais cela ne signifie pas forcément que ces jeunes rejoignent le crime organisé, mais cela peut les inciter à commettre des actes illégaux pour obtenir ces biens de luxe. Ce phénomène est aussi très présent dans la culture musicale, notamment le rap, où certains adoptent des symboles du crime organisé sans pour autant en faire réellement partie.

Vous indiquez que le profil des jeunes a changé. La précarité est moins en jeu que la détresse psychologique ?

Oui, tout à fait. Nous avons observé que ces jeunes viennent de milieux plus diversifiés qu’auparavant. Il y a moins de lien direct avec des contextes socio-économiques défavorisés. Beaucoup souffrent de détresse psychologique, d’anxiété sociale et de dépression, ce qui peut jouer un rôle majeur.

Comment expliquez-vous que les criminels soient de plus en plus jeunes ?

Je pense que nous sommes de plus en plus exposés aux contenus criminels, que ce soit à travers la télévision, les médias ou les réseaux sociaux, et cela dès un très jeune âge. Cette exposition peut être problématique car elle façonne la perception des jeunes et peut influencer leur comportement. Les réseaux sociaux, en particulier, jouent un rôle majeur dans cette normalisation et cette glorification de la criminalité.

Vous pensez donc que la manière dont les médias parlent des groupes criminels contribue à leur promotion ?

Oui, bien sûr. C’est un des aspects majeurs. Il existe une théorie criminologique ancienne appelée « la théorie de l’étiquetage ». Elle explique que lorsqu’on attribue une étiquette à un groupe, celui-ci finit par s’identifier à cette étiquette. Un exemple en Italie est le terme « baby gang », qui a été inventé par les médias. Après cela, certains jeunes ont commencé à se revendiquer comme faisant partie de ces « baby gangs », alors qu’au départ, ce n’était pas une réalité structurée.

Il ne s’agit pas seulement de promotion, mais aussi de construction identitaire. Quand les médias donnent un nom à un phénomène, cela influence la manière dont les jeunes perçoivent et adoptent ce modèle.

Vous étudiez la culture rap italienne et son lien avec la criminalité. Avez-vous observé un lien ?

C’est un peu différent de la France. Dans mes recherches, je constate que le rap italien met davantage en avant la création de personnages criminels que la commission réelle de crimes. Il y a un grand symbolisme autour de la mafia et du crime organisé. Beaucoup d’artistes de rap construisent une image criminelle sur les réseaux sociaux et dans leurs clips, mais ils ne sont pas forcément impliqués dans des activités illégales.

Cela dit, il existe un lien avec le trafic de drogue, car historiquement, le rap a toujours été associé à la drogue, que ce soit en Italie ou ailleurs. Le deal peut être une source de revenus pour financer une carrière musicale, surtout pour les artistes underground qui n’ont pas encore de succès commercial.

Après avoir rejoint un groupe criminel, quelle est la perception de la criminalité pour ces jeunes ?

Une fois qu’un jeune adopte un personnage criminel, il peut finir par croire à ce personnage et se retrouver piégé dans une boucle dont il est difficile de sortir.

Certains commencent à commettre des actes criminels juste pour la visibilité sur les réseaux sociaux. Ils entrent dans une spirale où leur vie réelle et leur image publique deviennent indissociables.

Tony Effe, un rappeur italien a été banni d’un concert officiel de la mairie de Rome à cause de ses propos. Pensez-vous que ce genre de sélection soit une bonne solution ?

Personnellement, je pense que c’est contre-productif. Cela ne fait que renforcer leur image de rebelles et attirer encore plus l’attention sur eux. Interdire un concert ne signifie pas que les gens vont arrêter d’écouter leur musique. Ils iront simplement écouter des artistes étrangers qui véhiculent le même type de message.

Pensez-vous qu’on parle suffisamment du rôle des réseaux sociaux dans la promotion du crime ?

Je pense que c’est un sujet sous-estimé. Le problème est que les médias traditionnels ne consultent pas assez d’experts en criminologie ou de personnes qui connaissent vraiment ces dynamiques. Il y a un décalage générationnel : beaucoup d’experts plus âgés ne comprennent pas comment fonctionnent les réseaux sociaux et leur impact.

La Génération Z est souvent décrite comme porteuse de valeurs positives, mais on voit aussi une glorification du crime. Comment expliquer ce paradoxe ?

Les algorithmes des réseaux sociaux jouent un rôle important. Ils ne créent pas directement un lien de cause à effet, mais ils exposent davantage les utilisateurs à certains contenus en fonction de leurs centres d’intérêt. Par exemple, si je commence à suivre un vendeur de drogue sur Instagram, l’algorithme va me proposer d’autres comptes similaires. Cela fonctionne de la même manière avec la musique et la culture criminelle.

La criminalité est-elle une réponse au manque d’opportunités dans certaines communautés ?

Oui, mais pas uniquement pour des raisons économiques. Même des jeunes issus de familles aisées peuvent se tourner vers la criminalité, non pas par nécessité, mais par désir d’avoir toujours plus de biens matériels et de vivre un style de vie luxueux.

La pandémie a-t-elle joué un rôle dans cette évolution ?

Oui, notre étude montre que ces changements sont survenus après la pandémie. On observe plus d’anxiété sociale, de dépression et une consommation accrue de certaines drogues chez les jeunes. Cela a certainement contribué à certaines formes de délinquance.

Génial ! Vous vous êtes inscrit avec succès.

Bienvenue de retour ! Vous vous êtes connecté avec succès.

Vous êtes abonné avec succès à Corruptoscope.

Succès ! Vérifiez votre e-mail pour obtenir le lien magique de connexion.

Succès ! Vos informations de facturation ont été mises à jour.

Votre facturation n'a pas été mise à jour.

Privacy settings