Jeux vidéo : un nouveau champ de bataille
Longtemps considéré comme un simple divertissement, le jeu vidéo est aujourd’hui au cœur de nombreuses stratégies militaires, économiques et
Lancée en 2012 par Xi Jinping, la campagne anticorruption en Chine a profondément transformé l’appareil d’État. Si elle a permis de limiter certaines dérives, elle a aussi généré des effets pervers. Douze ans plus tard, la peur d’être sanctionné a installé une culture de l’immobilisme chez les cadres, freinant la prise d’initiative et l’adaptation des politiques publiques. La rigidité du système, renforcée par des règles disciplinaires strictes et opaques, étouffe les débats internes et nuit à la circulation des informations cruciales, y compris dans des secteurs stratégiques comme l’économie ou l’armée. Jérôme Doyon, professeur au Centre de recherches internationales CERI - Sciences Po, spécialiste de l'économie politique de la Chine, décrypte l'appareil de l'État-parti.
Quels étaient les objectifs initiaux de la campagne anti-corruption lancée par Xi Jinping en 2012 ?
La campagne a réellement débuté en 2013. Cela faisait déjà plusieurs années qu’un discours fort dénonçait la corruption au sein de l’État-parti. Elle faisait perdre de la légitimité au système vis-à-vis de la population et alourdissait le fonctionnement de l’appareil administratif. La corruption empêchait le système de bien fonctionner. Les objectifs affichés — fluidifier les relations économiques, améliorer l’efficacité — représentaient les buts initiaux, et ils sont en partie sincères.
Mais du point de vue des observateurs, cette campagne a aussi un volet très politique. Ce n’est pas pour dire qu’il n’y a pas une véritable volonté de lutter contre la corruption, mais cette lutte permet aussi de cibler des factions adverses et d’éventuels opposants. C’est un moyen de s’assurer de la loyauté des cadres, en particulier ceux qui occupent des postes élevés dans l’État-parti.
Ce qui frappe avec cette campagne lancée il y a douze ans, c’est son ampleur. Le terme “corruption” évoque spontanément les pots-de-vin ou les détournements d’argent. Mais dans le cadre du Parti communiste chinois, il s’agit en réalité d’une campagne disciplinaire bien plus large. Elle vise toutes les atteintes à la discipline, pas seulement les affaires financières.
On parle donc de “lutte contre la corruption”, selon les termes de Xi Jinping, mais il s’agit en fait de plusieurs campagnes en une. Il y a bien une campagne contre la corruption au sens large — toute infraction à la discipline —, et une autre, souvent confondue avec la première, qui cible le bureaucratisme, l’hédonisme des cadres, et cherche à restaurer une certaine austérité dans l’appareil étatique.
En quoi cette campagne diffère-t-elle des initiatives anti-corruption précédentes en Chine ?
Il ne s’agit donc pas seulement de corruption au sens classique. Cela peut aussi concerner la vie privée : un comportement jugé frivole, ostentatoire, peut être sanctionné, même si les dépenses sont faites avec des fonds personnels. On peut alors soupçonner une origine douteuse, ou simplement estimer que cela ne correspond pas à l’éthique attendue d’un cadre du Parti.
D’où les chiffres impressionnants : près de 12 millions de membres du Parti ont été “affectés”. Cela ne signifie pas tous envoyés en prison : cela peut aller de la réprimande à la perte de la carte du Parti, d’un emploi, voire à des poursuites judiciaires. L’éventail des sanctions est large.
C’est ce qui rend cette campagne inédite, non seulement par son ampleur, mais aussi par sa durée. Dans l’histoire du Parti communiste chinois — même avant qu’il ne devienne parti d’État dans les années 1930 — il y a eu de nombreuses campagnes anti-corruption. Mais jamais à une telle échelle, ni sur une période aussi longue. Douze ans, c’est considérable. Habituellement, une campagne est temporaire. Ici, on est face à une campagne institutionnalisée, permanente, avec la création d’instances spécifiques. La pression sur les cadres est devenue une norme.
Autre élément notable : la campagne cible aussi des cadres de très haut niveau. On parle d’environ 300 “tigres” — hauts dirigeants du Parti, de l’État ou de l’armée — qui ont été disciplinés. C’est remarquable car, auparavant, l’élite avait tendance à se protéger. Là, même des figures à la retraite, comme Zhou Yongkang, ancien membre du comité permanent du Bureau politique, ont été visées. C’est une rupture majeure : la retraite ne garantit plus l’impunité.
La campagne a-t-elle poursuivi les puissants ou les fusibles ? Plus de Mouches ou de Tigres ?
Évidemment plus de Mouches, car elles sont plus nombreuses dans le système. Mais le nombre de Tigres inquiète, car il est bien plus élevé que par le passé. Cela reflète à la fois une volonté de lutte contre la corruption et une quête d’exemplarité.
Sur le plan légal, il faut distinguer le cadre juridique du cadre disciplinaire interne au Parti. Seuls les cas les plus graves vont devant la justice. Les autres sont traités en interne, par la Commission centrale d’inspection et de discipline, qui existe à tous les niveaux — central, provincial, local. Cette commission applique les règles du Parti, qui ne relèvent pas du droit commun. On peut perdre sa carte du Parti sans avoir été jugé.
Mais cette exclusion peut avoir des conséquences lourdes. Un professeur d’université, par exemple, ne sera peut-être pas licencié, mais sa carrière sera bloquée : mise à l’écart, retraite anticipée… Pour les hauts fonctionnaires, la perte de la carte signifie souvent la perte du poste. Et cela s’accompagne d’une humiliation publique.
Côté transparence, des efforts existent. La Commission publie régulièrement des données sur les infractions : hédonisme, lecture d’ouvrages interdits, etc. À l’échelle macro, on a donc une certaine visibilité. Mais le processus d’enquête, lui, reste opaque : comment les personnes sont-elles choisies ? Comment les enquêtes sont-elles conduites ? On ne le sait pas. On observe parfois des dynamiques de “nettoyage” autour d’un dirigeant, ce qui laisse penser à des luttes de factions. Dans un système où la corruption est généralisée, tout le monde peut être visé. Ce qui compte, c’est qui l’est.
Quelle est la perception du gouvernement par le public ? La société civile joue-t-elle un rôle ?
La société civile joue un rôle, notamment dans le signalement. Il existe des plateformes où les citoyens peuvent dénoncer des comportements suspects. Certains lancent des “campagnes” sur Internet, en repérant des signes extérieurs de richesse — montres de luxe, maîtresses jeunes… Ces informations peuvent déclencher des enquêtes. Mais ensuite, le processus reste très contrôlé par l’appareil étatique.
A-t-on des chiffres fiables ou des indicateurs pour mesurer l’efficacité de la campagne anti-corruption ?
Je n’ai pas étudié les indicateurs de corruption sur la dernière décennie. Mais d’après les témoignages, il y a une impression générale d’amélioration, notamment à des niveaux accessibles : dans la bureaucratie, par exemple.
Avant, il fallait parfois corrompre son supérieur pour progresser, ou des entrepreneurs proposaient des pots-de-vin pour obtenir des permis. Aujourd’hui, cela a nettement reculé. Il y a eu des mesures concrètes : plafonds de dépenses, interdiction de banquets luxueux, etc.
Mais cette rigueur a aussi un revers : elle limite les discussions internes. Il y a une vraie peur d’être accusé de manquement à la discipline si l’on dévie un peu de la ligne officielle, même dans des discussions privées. Avant, un cadre pouvait exprimer des désaccords, dans une certaine limite. Aujourd’hui, avec les règles contre la diffusion de “rumeurs”, ce genre de propos peut tomber sous le coup des sanctions. Cela rétrécit l’espace du débat interne et réduit la capacité d’adaptation des politiques publiques.
C’est en partie ce qui explique les ratés de la politique zéro-COVID. Elle était extrêmement stricte, mais ne s’adaptait plus à la réalité. Comme il n’y avait plus de mécanismes pour faire remonter les critiques, elle a été abandonnée brutalement. C’est un effet pervers de la rigidité imposée par la campagne disciplinaire.
Autre conséquence : un risque d’immobilisme. Les cadres prennent moins d’initiatives, par peur d’être sanctionnés. Dans les années 80-90, et même 2000, les cadres locaux avaient une posture quasi entrepreneuriale. On leur fixait des objectifs, et on fermait parfois les yeux sur les moyens. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Les objectifs existent toujours, mais les contraintes sont plus fortes. Cette prudence, cette frilosité, freine le dynamisme économique. Avant, la corruption jouait parfois un rôle de “lubrifiant” économique.
La corruption des militaires auraient eu un impact réel sur l’efficacité de l'armée ?
Dans l’armée aussi, la campagne a été massive. L’idée : nettoyer une institution très corrompue, où des postes s’achetaient. Il fallait rétablir la méritocratie. Une réforme structurelle a été lancée en 2015-2016, recentrant l’armée sur sa mission première.
Cela a un aspect positif : une armée plus professionnelle. Mais en sélectionnant les cadres sur leur loyauté plutôt que sur leurs compétences, on risque d’avoir une armée docile politiquement, mais moins efficace militairement.
Même logique pour l’administration : les fonctionnaires ne sont pas aussi bien payés que dans le privé. Et avec la suppression des avantages (logements, voitures…), le métier devient moins attractif. Malgré un afflux de candidatures dû au chômage des jeunes diplômés, il n’est pas certain que ce soient toujours les meilleurs profils qui intègrent la fonction publique.
La campagne a-t-elle réellement opéré des changements structurels ou provoqué une chasse aux personnes ?
Sur le plan institutionnel, la grande transformation, c’est l’institutionnalisation du système disciplinaire. Depuis 2014, la Commission nationale de supervision vient compléter celle du Parti. Elle étend le contrôle du Parti à l’ensemble des fonctionnaires, même ceux qui ne sont pas membres.
Cela renforce l’emprise du Parti sur l’État. On a aussi vu revenir des pratiques héritées du maoïsme, comme les “réunions de vie démocratique”, où les cadres doivent faire leur autocritique. Ces séances servent aussi de base aux enquêtes.
Quant à la perception populaire, elle reste globalement positive — surtout au début. Mais chez les cadres, elle devient plus ambiguë : la pression est constante, les marges de manœuvre se réduisent.
À l’international, difficile d’isoler l’impact de la campagne. Faire du business en Chine est devenu plus complexe, mais cela tient aussi au ralentissement économique, aux tensions géopolitiques et à l’environnement réglementaire.
La Chine cherche-t-elle à exporter son modèle de gouvernance anti-corruption, comme par exemple dans le cadre des Nouvelles routes de la soie ?
La lutte anticorruption fait partie de ce “soft power”. Des formations sont organisées pour des élites étrangères, et même des écoles créées avec le soutien de la Chine, comme en Tanzanie.
Quelle est la place du système judiciaire dans cette campagne ? Est-il instrumentalisé ou renforcé ?
Quant au système judiciaire, son rôle reste limité. Le procès intervient à la fin du processus, une fois la décision déjà prise. Il n’y a pas d’indépendance des juges. Si la Commission disciplinaire transmet un dossier, la condamnation est assurée. Le procès suit une procédure, mais sans équivalent avec une justice indépendante à l’occidentale.
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